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mis de faire un tas de bandits échappés des prisons du Châtelet, payés pour jeter leur venin jusque dans les spectacles, ou bien un reste empesté d’aristocrates déchaînés contre tout ce qui peut contribuer au bien de l’état et à celui du peuple. De quelque classe qu’ils soient, j’aurais voulu les voir jeter par les fenêtres… »


Le patriote Rivière termine en déclarant que le parterre finira par monter aux loges, et qu’il en fera lui-même la motion pour en faire l’exécution. On voit cependant qu’il représente à peu près le juste-milieu du temps.

Malgré les clameurs des partis extrêmes, Beaumarchais maintint énergiquement Tarare à l’état monarchique constitutionnel, faisant même au besoin marcher l’huissier contre les acteurs quand ils se permettaient de modifier quelques détails, et la pièce resta au théâtre sous cette forme jusqu’au 10 août 1792, qui emporta la monarchie constitutionnelle.

Sous la république, après la terreur, l’Opéra voulut reprendre Tarare. Beaumarchais était à ce moment réfugié à Hambourg et placé malgré lui sur la liste des émigrés : il chargea Mme de Beaumarchais de s’opposer à cette reprise ; mais l’Opéra insistant, il fallut capituler. Au grand désespoir de l’auteur, on lui enleva d’abord son prologue physique et métaphysique sur la Nature et le Génie du feu créant des êtres. Mme de Beaumarchais s’évertue à le consoler de ce malheur avec ces ménagemens délicats que les femmes d’esprit savent si bien employer en pareille circonstance. « Ce prologue, lui écrit-elle en septembre 1795, est d’une philosophie trop supérieure aux facultés des individus composant maintenant l’auditoire ; le goût public a changé, l’esprit des spectateurs n’est plus le même, le sublime est en pure perte. » Mais si le sublime prologue était déplacé en 1795, le dénoûment monarchique constitutionnel de Tarare l’était bien davantage encore. Il fallut donc donner à cet opéra un nouveau dénoûment et le mettre à la sauce républicaine. En l’absence de Beaumarchais, c’est un de ses amis, Framery, qui s’en chargea.

Après que le sultan s’est poignardé, au moment où le peuple offre le tronc à Tarare, celui-ci, devenu républicain, s’écrie :


Le trône ! amis, qu’osez-vous dire ?
Quand pour votre bonheur la tyrannie expire,
Vous voudriez encore un roi !

Urson.

Et quel autre sur nous pourrait régner ?

Tarare.

Et quel autre sur nous pourrait régner ?La loi !
Sachez jouir d’un bien que le ciel vous prépare,
Affranchis d’un joug détesté,
Conservez votre liberté