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son du roi, M. de Breteuil, pour demander la remise de cet ouvrage, « ne pouvant, dit-il, songer à amuser le public, quand il s’agit pour lui de défendre son honneur contre les plus injurieuses calomnies. » Le ministre s’oppose à la remise par une lettre de M. de La Ferté, dans laquelle, après avoir parlé d’une conversation qu’il a eue à ce sujet avec l’auteur de Tarare, il allègue l’impatience publique, qui est portée au comble, les intérêts de l’Opéra, qui a fait des dépenses énormes de mise en scène, « et enfin un succès que nous sommes fondés à regarder comme certain, qui ne peut qu’ajouter à l’éclat de la réputation littéraire de M. de Beaumarchais, ce qui sera déjà un premier triomphe sur ses adversaires. »

Devant cette insistance de M. de Breteuil, Beaumarchais dut céder, et la première représentation de Tarare eut lieu le 8 juin 1787. « Jamais, dit la Correspondance de Grimm, jamais aucun de nos théâtres n’a vu une foule égale à celle qui assiégeait toutes les avenues de l’Opéra le jour de la première représentation de Tarare. À peine des barrières élevées tout exprès, et défendues par une garde de quatre cents hommes, l’ont-elles pu contenir. » On voit que la puissance d’attraction de Beaumarchais sur la foule ne diminuait pas ; elle était plutôt redoublée par l’éclat du nouveau procès dans lequel il se trouvait engagé. L’attente du public fut cette fois un peu trompée : Tarare excita beaucoup plus de surprise que d’admiration. Cependant cet ouvrage eut plus de succès qu’on ne l’a dit, et il a vécu plus longtemps qu’on ne le croit communément.

L’idée qui a donné naissance à Tarare est une idée dont l’exécution est masquée, mais ce n’est pas une idée vulgaire ; elle offre au contraire un témoignage de plus de cet esprit hardi, chercheur, novateur, qui distinguait si essentiellement Beaumarchais, faire marcher de front dans un opéra l’intérêt poétique, l’intérêt musical, l’intérêt dramatique, en y joignant l’attrait des décors, des machines, des coups de théâtre et des danses ; en un mot, essayer avec une plus grande variété de moyens et beaucoup plus de mouvement quelque chose d’analogue à ces mélodrames sublimes de la pièce antique, dans lesquels tous les arts réunis apportaient leur concours ; « atteindre ainsi, dit Beaumarchais lui-même, à ces grands effets tant vantés des anciens spectacles grecs : » tel est le problème que se posa l’auteur de Tarare Pour résoudre ce problème, en supposant qu’il puisse de nos jours être résolu, pour dépouiller la musique de la suprématie absolue qu’elle s’attribue dans un opéra et la réduire à n’être dans le drame qu’un embellissement de plus, il eût fallu d’abord que la poésie eût par elle-même une grande valeur. Or Beaumarchais était loin d’être poète, dans le sens véritable du mot ; sa versification, sauf quelques excep-