Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/762

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étaient posés, et l’exemple donné par le gouvernement sur ses grands domaines avait commencé à les faire passer dans la pratique. Le règne de Christian VIII, du 3 décembre 1839 au 28 janvier 1848, ne fut que le développement des germes contenus dans ces réformes sociales et politiques. Personnellement, Christian VIII était ami des institutions libérales. Gouverneur de la Norvège en 1814, quand nos propres malheurs accablaient le Danemark, notre dernier allié, il avait encouragé et soutenu la cause de l’indépendance norvégienne, et, de concert avec son secrétaire et ami Adler, il avait donné à ce pays la constitution presque républicaine qu’il a définitivement gardée. Il avait ensuite voyagé à Naples et en France, sympathisant partout avec le parti libéral, et fréquentant à Paris les salons du duc d’Orléans plus volontiers que ceux des Tuileries. Prince royal, il écrivait dans une lettre du 16 février 1837, que j’ai sous les yeux, que « le meilleur gouvernement pour l’Europe du XIXe siècle lui semblait être celui qui saurait combiner la responsabilité ministérielle avec la prérogative royale, » et il ne cessa, pendant tout le règne de son cousin, d’encourager le progrès politique du Danemark. Devenu roi absolu, il trouva en effet le fardeau trop pesant, protégea les états provinciaux, prit un vif intérêt à la prospérité si brillante alors des gouvernemens constitutionnels de l’Europe, s’attacha principalement à celui de la France qu’il aimait, et conçut, dès l’époque de son avènement, le projet de diriger le Danemark dans la même voie. Cette pensée le préoccupa sans cesse, et il voulut à son lit de mort confier à son fils la mission qu’il aurait lui-même accomplie, s’il avait plus longtemps vécu, — de donner au Danemark une sage liberté.

Il faut dire toutefois que si le règne de Christian VIII dirigea incontestablement le Danemark dans la voie constitutionnelle, il ne continua cependant pas de propos délibéré les réformes sociales auxquelles Frédéric VI avait fait faire un si grand pas. L’institution des états provinciaux avait tourné, nous l’avons dit, au profit de la grande propriété. Loin d’y contredire, le nouveau règne n’imposa pas à celle-ci de nouvelles concessions ; aussi vit-on se former, dès l’année 1844, la société des Amis des paysans (Bondevennerne), qui se proposa d’abord uniquement de susciter par son intervention légale et pacifique le développement des institutions favorables à l’agriculture et à la transformation de la propriété au profit des habitans des campagnes, mais dont les prétentions devaient plus tard devenir si inquiétantes. En second lieu, on laissa subsister d’anciennes relations féodales qui créèrent pour le Danemark, outre les entraves intérieures détruites en partie par les Bernstorf, les Reventlow et les Colbioernsen, des embarras extérieurs consacrés et aggravés par les traités de 1815.