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déraciné du sol danois sans porter aucune atteinte au droit de propriété ; elle avait accompli une révolution sociale sans ruine et sans dommage pour aucun citoyen, — succès magnifique dont il fallait remercier ses deux principaux chefs, le généreux prince royal, devenu depuis 1808 le roi Frédéric VI, et Reventlow, le Colbert du Danemark.

Les embarras extérieurs que les premières années du XIXe siècle suscitèrent au Danemark n’empêchèrent cependant pas l’accomplissement d’un certain nombre de réformes économiques qui sont devenues pour ce pays, avec l’abolition du servage, consommée dans la période précédente, les bases de toute prospérité intérieure. Aménagement des forêts, dignes contre l’envahissement des sables qui menacent toujours une partie des côtes du Danemark, remaniement de la division civile en amter ou départemens, réforme du système des impôts, instruction populaire, assistance publique, il n’est pas un seul de ces graves sujets qui n’ait attiré l’attention des ministres de Frédéric VI, et chaque branche de l’administration danoise vit encore aujourd’hui des principes mis en pratique à cette époque. Reventlow prit une grande part à ces changemens, et l’on retrouve avec respect, en lisant aujourd’hui ses rapports et ses exposés de motifs, l’empreinte de son bon vouloir, de son zèle patriotique et de son expérience. C’est toujours un beau spectacle que celui de l’homme d’état vouant toutes les forces de son intelligence et sa vie tout entière aux intérêts de son pays ; mais un tel exemple est surtout magnifique, s’il s’agit d’un ministre dont l’âme soit restée généreuse, incorruptible, et si telle a été sa bonne étoile, qu’il ait pu susciter quelqu’une de ces grandes réformes sociales destinées à devenir les bases fondamentales des sociétés modernes, parce qu’elles satisfont à certains droits sacrés de l’humanité. Sa gloire n’appartient plus alors au seul peuple au milieu duquel il a vécu, mais à tous les peuples. Reventlow eut cette rare fortune, et vit s’accomplir en Danemark, sans révolution sanglante et sans déchirement intérieur, plusieurs de ces grands changemens pour lesquels nous avons subi tant de malheurs.

Reventlow était mort en 1827. Le reste du règne de Frédéric VI, jusqu’en décembre 1839, est rempli par les contrecoups de la révolution de 1830, qui eut un rapide écho en Danemark aussi bien que dans le reste de l’Europe ; mais, chose singulière, elle rencontra ici pour auxiliaires les promesses des traités de 1815. Le roi de Danemark s’était alors engagé à donner des états provinciaux au Holstein ; il ne retarda pas l’accomplissement de sa parole, car dès 1819 il appela autour de lui les notables du Holstein pour les consulter sur un projet de loi. Néanmoins, ces notables ayant exigé du roi une part importante