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pourra réclamer et obtiendra justice. Justice sera rendue à chacun, sans acception de rang ou de personne. » Le prince termina en chargeant les deux députés de porter à leurs mandataires le témoignage de l’attention scrupuleuse et bienveillante qu’il accorderait toujours à leurs intérêts, et il prit congé d’eux sans leur donner plus d’espoir.

Là pourtant ne se termina pas ce curieux épisode de l’histoire des paysans en Danemark. Quand les fêtes des fiançailles royales furent terminées, le gouvernement fit examiner sérieusement et en détail la pétition présentée au prince royal. Les termes en étaient vifs et trop peu mesurés ; on y attaquait article par article la loi nouvelle ; on y blâmait énergiquement toutes les réformes exécutées ou tentées par l’initiative et sous l’influence du prince Frédéric et du comte de Reventlow ; on y représentait la législation actuelle comme une continuelle attaque à tous les droits des propriétaires, et l’ancienne au contraire comme la seule juste et le seul moyen de salut. Colbioernsen, l’ardent défenseur des paysans, fit imprimer cette protestation en y joignant ses commentaires et ses réponses, et cette publication fixa l’attention publique sur une réaction que le sentiment général réprouvait à l’avance. D’ailleurs la pétition danoise, celle que le prince royal avait reçue, ne portait que cent trois signatures, tandis que le Jutland septentrional comprenait au moins quatre cents propriétaires. De plus, quand on voulut apprécier la valeur de ces adhésions, il se trouva que personne ne consentit à reconnaître sa signature. Plus d’un propriétaire dont le nom se trouvait cependant au bas du manifeste affirma qu’il n’avait donné à personne sa procuration, qu’il n’avait pas même vu cette pétition adressée au prince royal, et qu’il récusait la signature qu’on y avait apposée. Une instruction fut ordonnée, et les grands propriétaires du Jutland septentrional furent convoqués à jour fixe avec les deux chambellans Beenfeld et Luttichau, qui s’étaient chargés du message. Le principal auteur de la protestation, Luttichau, forcé de se rendre à la convocation royale, renouvela en termes peu modérés ses plaintes contre tous les actes du gouvernement, et prétendit que les lois et les privilèges de la noblesse avaient été violés. Le procureur-général Colbiœrnsen n’attendait que cette occasion pour le citer devant la haute-cour du royaume, et alors commença un curieux procès où étaient engagés la majesté royale, les privilèges de la noblesse et la sanction des lois nouvelles par l’opinion publique. Pendant quatre jours entiers, les plus habiles avocats plaidèrent, et le 7 avril 1791 la cour déclara que les paroles injustes et peu convenables prononcées par l’accusé étaient regardées comme non avenues, mais qu’en punition de sa révolte contre les lois, il paierait une amende de 1,000 rigsbankdalers[1],

  1. La rigsbankdaler vaut aujourd’hui 2 fr. 80 cent.