Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/736

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demande quelque chose d’énorme,… je voudrais quatre francs pour acheter du cadmium.

— Demande un million, va, pendant que tu y es, fit Lazare. Tu commences à devenir fatigant et ennuyeux avec tes couleurs de convention.

— Je ne peux pas m’en passer pour mes soleils couchans, insista l’autre.

— Eh bien ! fais des soleils couchés.

Ce refus jeta le pauvre Soleil dans une tristesse moitié sérieuse, moitié comique. Il prétendait que l’absence de cette couleur fort coûteuse l’empêchait de travailler. — Oui, disait-il à Lazare, tu dis du mal du cadmium, parce que tu ne sais pas t’en servir ; tu veux m’empêcher de me faire une position.

Et Soleil alla douloureusement s’asseoir dans un coin. Un éclat de rire général accueillit sa sortie.

— Donne-lui ses quatre francs, dit Antoine à Lazare, sans cela il s’obstinera à ne pas travailler.

Lazare desserra en rechignant les cordons de sa bourse. — Tiens, dit-il en appelant Soleil, voilà ton affaire.

— Serait-il vrai ? s’écria celui-ci, et toute la joie d’un désir satisfait rayonna sur son visage.

Francis raconta ensuite à ses co-associés sa rupture avec le marchand et le motif de cette séparation. — Vous comprenez, dit-il, que j’aime bien mieux m’entendre avec les amateurs qui me commanderont de la peinture. Les règlemens ne s’opposent pas à ce que j’accepte des commandes ? demanda-t-il avec une intention railleuse.

— Ma foi ! c’est selon, répondit Lazare. Si on vous commandait des tableaux-pendules, je vous rappellerais à l’article 5 ; mais est-ce que les amateurs font déjà la queue dans votre escalier ?

— Je n’en suis pas là, dit Francis en rougissant, mais j’ai l’espérance de placer deux pendans à mon Hiver et à mon Printemps.

— En effet, dit Antoine, je crois que la princesse avait le dessein de vous les demander. À propos, continua-t-il en montrant à Francis un pastel dont le verre était brisé dans un coin, si vous voulez voir le portrait de cette dame, le voici. Elle me l’a donné l’autre jour pour que je fasse une retouche à la robe, qui a été un peu effacée. C’est l’œuvre d’un de nos compatriotes qui s’est établi en Russie et qui y a fait fortune. Quant à moi, je ne lui confierais pas ma palette à nettoyer.

— Est-ce ressemblant ? demanda Francis en regardant le portrait.

— Il faut être juste, fit Antoine, la chose a ce mérite. Qu’en dites-vous ?

— C’est une bien jolie femme que votre élève, dit Francis. Il faut