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n’aurait servi qu’à le compromettre davantage. La prudence lui conseillait d’attendre des jours plus favorables et de se préparer une meilleure situation, sans devancer le temps. L’heure du retour définitif dans sa patrie ne devait venir pour lui qu’après la chute de Walpole. Aux élections de 1741, Walpole, qui avait pourtant fait à l’opposition l’imprudente concession de déclarer à l’Espagne une guerre inutile, perdit la majorité, ou du moins il la retrouva si faible et si vacillante, que le gouvernement lui parut impossible. Il fallut bien quitter ce pouvoir qu’il ne semblait devoir abandonner qu’avec la vie (février 1742). J’ai raconté ailleurs cette grande révolution ministérielle qui ne changea pourtant pas l’esprit du gouvernement[1]. Elle rouvrit du moins à Bolingbroke les portes de sa patrie. Il eut besoin de voir son ennemi désarmé pour se retrouver sur le même sol que lui.


XXIII.

La mort de son père, qui arriva vers ce temps, le remit en possession viagère de ses biens de famille. Lord Saint-John, mort à près de quatre-vingt-dix ans, fut enseveli à Battersea le 16 avril 1742. Il laissait d’une Française, sa seconde femme, des enfans qui devaient, après son fils aîné, hériter des titrés et du patrimoine. En attendant, Bolingbroke retrouvait une fortune. Il alla visiter le château de Lidyard, dont il portait le titre, dans le comté de Wilts; mais il fixa sa résidence habituelle à Battersea, son lieu natal. On y montre encore debout une partie de sa maison et une belle salle boisée en cèdre, qui a vue sur la Tamise, et dont Pope aimait à faire son lieu d’étude, au milieu d’une précieuse bibliothèque. Bolingbroke ne quitta plus guère ce lieu, si ce n’est en 1743, pour aller encore à Aix-la-Chapelle, où il croyait se guérir de la goutte, et en 1744, pour se défaire du dernier établissement qu’il eût conservé en France. Les travaux de l’esprit, qui en sont aussi les délassemens, convenaient seuls à son âge. Le temps avait renouvelé le monde autour de lui : il devait comprendre combien il lui siérait peu d’y vouloir ressaisir une active influence; mais la politique est la passion qui vieillit le moins. Un dernier mécompte aurait dû l’en guérir pour jamais. La perte de Walpole ne lui avait servi de rien. L’opposition victorieuse l’avait oublié. Pulteney, qui, il est vrai, s’oublia lui-même, ne parut pas songer à lui. Les tories étaient sans puissance, le prince de Galles à demi réconcilié. Comme Walpole, en sortant du cabinet, eut l’adresse d’en fermer la porte à presque tous les chefs de l’opposition, on pouvait dire que l’ancienne coalition avait échoué. L’infatigable

  1. Voyez le premier article sur Horace Walpole dans la Revue du 1er juillet 1852.