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illustrations de toutes les classes de la société, et particulièrement les membres les plus célèbres de la Faculté de Médecine. L’attitude du cortège était silencieuse et recueillie. Ce n’était pas un mort vulgaire que ce char funèbre portait au lieu du repos. Ce devait être un de ces hommes dont le nom était appelé à vivre dans la mémoire humaine bien après que le temps l’aurait effacé sur la pierre de son monument, car ses funérailles avaient l’apparence d’une marche triomphale vers la postérité, et la physionomie générale de ceux qui formaient le cortège indiquait que la perte de ce défunt était un deuil public. Francis allait demander qui on enterrait là ; mais tout à coup il se frappa le front comme un homme qui devine. Entre les derniers rangs de la file qui suivait le convoi, il venait d’apercevoir un groupe isolé, au milieu duquel marchait l’homme au gant donnant le bras à une vieille femme plus que simplement mise ; un autre jeune homme, que Francis reconnut pour être le frère Paul, soutenait aussi les pas de la pauvre femme. Ces trois personnes, qui étaient peut-être les seules dont les vêtemens ne fussent pas d’une couleur conforme à la cérémonie, avaient, comme signe de deuil, enroulé un morceau de crêpe autour de leur bras gauche. Derrière eux marchaient cinq ou six jeunes gens, la tête nue et le visage grave. Francis comprit alors qu’il assistait aux obsèques du docteur ***, dont il avait appris le décès par les journaux, et il eut le pressentiment que les jeunes gens qui accompagnaient les deux frères et leur aïeule devaient compléter la société des buveurs d’eau. L’artiste tira son chapeau, traversa la chaussée, et prit rang derrière le groupe sans qu’aucune personne parût prendre garde à sa présence.

On arriva ainsi dans la rue de la Hoquette, qui conduit au Père Lachaise. Comme on commençait à passer devant les marbriers et fournisseurs d’ornemens funèbres, qui sont très nombreux aux alentours des nécropoles, l’homme au gant, que nous appellerons désormais de son véritable nom d’Antoine, laissa la grand’mère au bras de son frère Paul, et vint se mêler à ses amis, bien que Francis ne fut qu’à deux pas derrière lui, il ne l’aperçut pas. Antoine eut avec les buveurs d’eau une courte conversation, à la suite de laquelle Francis remarqua que chacun d’eux fouillait dans sa poche. Après avoir recueilli l’offrande commune, Antoine quitta les rangs, et Francis le vit entrer chez un marbrier. Peu d’instans après, Antoine vint reprendre sa place auprès de sa grand’mère ; il avait à la main une grosse couronne d’immortelles. La pauvre femme parut étonnée ; mais son fils lui dit quelques mots tout bas, et l’aïeule, se retournant du côté des buveurs d’eau, leur adressa un triste sourire de remerciement.

Quand on pénétra dans le cimetière du Père Lachaise, une grosse