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I. – LE DEBUT.

Le personnage qui tient la plus grande place dans notre premier épisode, entraîné dès l’adolescence par des relations de camaraderie, avait voulu suivre la carrière des arts malgré l’opposition qu’il avait rencontrée dans sa famille. Francis Bernier s’était livré à l’étude de la peinture. Brouillé, par suite de cette obstination, avec ses parens, qui n’étaient d’ailleurs pas en état de le subventionner pendant le temps de ses études, il ne tarda pas à se trouver en face de cette fameuse vache enragée qui, dans la langue du peuple, symbolise la misère. Habitué à l’aisance, choyé dans sa famille par la tendresse d’une mère qui prévoyait ses besoins et se montrait avec joie docile à tous ses caprices, Francis ne put s’empêcher de trouver la transition un peu brutale, lorsqu’il se trouva abandonné à ses propres ressources. Cependant la vaine gloriole, qui, bien plus que l’amour de l’art, est le mobile des esprits vulgaires et le véritable motif des vocations improvisées, retint Francis au moment où il allait retourner en arrière. L’entourage au milieu duquel il vivait lui vanta les charmes de cette vie hasardeuse, dans laquelle on trouvait seulement la véritable indépendance, et comme Francis mettait en doute les avantages d’une liberté qui était à la veille de le faire coucher à la belle étoile et qui lui rognait ses portions tous les jours, on lui fit comprendre que cette existence dégagée des servitudes matérielles était une source de poésie intarissable, une atmosphère propice aux développemens de l’imagination. Ces luttes quotidiennes avec les nécessités, on les lui présenta comme des épreuves naturelles, qui étaient au talent ce que la trempe est à l’acier. De même que le combat fait le guerrier, on lui fit entendre que cette existence faisait l’artiste ; puis, comme il n’était pas absolument convaincu, on le grisa avec les chansons, avec les paradoxes malsains qui étourdissent si promptement les jeunes cerveaux.

Francis s’était d’abord effrayé de cette façon négative de vivre. Bientôt il finit par se réjouir et supporta gaiement les rudes épreuves de son apprentissage. Il travaillait du reste avec l’ardeur emportée de tous ceux qui commencent. De même que l’amour, l’art aussi a sa lune de miel. Les premières faligues du travail ont le charme passionné des premiers jours de la possession. Dans cette période de fougue, les privations que Francis était obligé de supporter lui semblaient douces ; il les considérait comme autant de sacrifices dont il serait amplement dédommagé plus tard.

Accueilli sans rétribution dans l’atelier d’un maître célèbre, Francis y travaillait depuis deux ans. Un jour, après la leçon, son maître