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amené la mort. Des croyances vigilantes et sévères environnaient les dépouilles mortelles et les protégeaient contre la recherche scientifique, qui ne semblait qu’une curiosité impie et coupable. À la vérité, les rois grecs de l’Égypte permirent à l’école active et mémorable d’Alexandrie de porter la main sur le corps humain ; mais bientôt cette anomalie, cette révolte contre l’opinion régnante, disparut, et le célèbre Galien, qui a composé des livres d’anatomie, excellent résumé de tout ce que les anciens surent en ce genre, n’avait jamais disséqué que des singes. Dans une pareille situation, il ne pouvait être question d’aller à la poursuite du poison introduit, et ceux-là même qui étaient le plus persuadés de l’empoisonnement de Germanicus, sa femme, ses amis, firent brûler le corps du jeune prince, détruisant ainsi tout moyen de constater un crime. Mais qui songeait alors que les particules vénéneuses pussent être retrouvées par une science profonde et un art subtil ? Et qui ne voit aujourd’hui la singulière et étroite liaison de toutes les choses sociales ? Tandis que les croyances théologiques du paganisme défendaient de toucher aux restes de la mort, par une concordance véritablement historique la science était hors d’état d’utiliser ces recherches, quand même elles eussent été permises ; au fond, l’interdiction qui les frappait et l’impuissance scientifique étaient des faits de même ordre et de même date.

Ce fut au moyen âge et dans le courant du XVIe siècle que les papes, faisant taire les anciens scrupules, autorisèrent les dissections. Ainsi, dans sa seconde moitié, le moyen âge posséda ce qui avait manqué à l’antiquité païenne, la possibilité d’étudier, sans qu’il y eût souillure pour la conscience ni danger pour l’investigateur, la structure humaine sur l’homme même. On remarquera en même temps que cet âge fut adonné avec passion à l’alchimie, l’alchimie qui, chimérique sans doute en ses rêves de transmutation et de panacée, fut pourtant singulièrement féconde en faits positifs, en trouvailles singulières, en substances actives. L’alchimie, philosophiquement considérée, est un des caractères les plus saillans du moyen âge, un de ceux qui en marquent le mieux la force et la capacité progressive.

Le XVIe siècle, Vésale en tête, renouvelle l’anatomie, et de la sorte la médecine commence à s’approcher du moment et de l’état où elle pourra aborder le grand problème de la toxicologie. En effet, à côté de l’anatomie régulière et après elle se développe ce qu’on appelle l’anatomie pathologique, c’est-à-dire l’étude des traces que la maladie laisse dans le corps, des lésions qui ont rendu les organes impropres à leur office. Dans ces perquisitions, les poisons eurent leur place ; il fut reconnu que la plupart altéraient de toute façon les