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croyait alors, et crut longtemps après, abréger la vie. Ceci montrait beaucoup de haine de la part des ennemis du prince ; les maléfices sont de vaines armes qui n’agissent que sur l’imagination, et il parait pourtant qu’à ce titre, mais à ce titre seulement, Germanicus en souffrit. Un de ses lieutenans envoya à Rome, pour figurer dans le procès, une sorcière célèbre par ses maléfices et ses empoisonnemens ; cette femme mourut dans le trajet, et on accusa Pison de l’avoir fait périr. Vitellius, un des accusateurs, allégua, pour prouver l’empoisonnement, que le cœur de Germanicus n’avait pu être consumé par le feu du bûcher. Il est difficile de croire à la réalité de ce fait ; en tout cas, si le cœur ne fut pas consumé, cela tient à quelque hasard de la combustion, et il n’y a rien à en conclure pour la question de l’empoisonnement. De plus, les accusateurs ne savaient dire où et quand le poison avait été administré. Ils prétendaient à la vérité que Pison, dans un repas, couché au-dessus de Germanicus (on sait que les Romains mangeaient couchés), avait de sa main empoisonné les alimens du prince ; mais cela ne paraissait possible à personne, au milieu de serviteurs étrangers, en présence de Germanicus et de tant d’assistans.

La défense alléguait le genre de maladie qui avait emporté le jeune prince ; probablement elle fit valoir la durée du mal, l’amélioration momentanée qui s’était manifestée, et enfin les incompatibilités qu’elle crut apercevoir entre les symptômes et une affection causée par le poison. Ce qui est remarquable, c’est qu’on ne fit comparaître devant le sénat aucun médecin pour leur demander leur avis. En définitive, Germanicus, durant sa maladie, crut, et sa femme, ses amis, crurent avec lui qu’il succombait à un empoisonnement. Il leur fit promettre de poursuivre la vengeance de sa mort ; mais devant le sénat les preuves positives firent défaut. L’accusé réfuta les allégations, et comme il ne nous a été conservé aucun détail sur la maladie, il est impossible de faire un pas de plus et de dissiper ou d’aggraver le soupçon qui pèse sur Pison et sur sa femme.

On voit par tout ce qui transpire de cette société ancienne, même à travers un si long espace de temps, qu’il y avait là des officines de poison, étroitement liées d’ailleurs avec la sorcellerie et la magie, qui étaient si curieusement cultivées dans le secret de la superstition romaine. Il est certain aussi que, malgré l’ignorance où l’on était de la chimie, ces ateliers de crimes savaient produire des poisons très énergiques. Sénèque, dans une phrase acerbe pour les mœurs de son temps, donne à ces préparateurs le titre de grands artistes, et dit que leurs mixtures n’offensent ni le goût ni l’odorat. On a une preuve de leur puissance dans un empoisonnement qui n’est sujet à aucun doute, à savoir celui de Britannicus.