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tout organisme de qui la vie s’est retirée et qui est livré aux affinités chimiques peut survenir très vite dans des cas où aucun poison n’a été administré, et réciproquement elle peut, suivant les circonstances, tarder beaucoup, même quand un poison a donné la mort. Au reste, dire que le corps d’Alexandre resta sans se putréfier au sein de la chaleur et de l’humidité, c’est, par un autre côté aussi, obéir à ces chimériques notions qui élevaient hors de l’humanité les grands hommes et voulaient même accorder à leurs dépouilles inanimé une vertu d’incorruptibilité.

Les historiens anciens se sont partagés sur la question de savoir si Alexandre avait été victime d’embûches secrètes. Quand on vit ce prince conquérant de l’Asie venir expirer à Babylone à moins de trente-trois ans, il n’est pas étonnant que des bruits aient circulé sur une fin si prématurée. Des projets gigantesques occupaient cet esprit actif et ambitieux qui sortait à peine de la jeunesse. Des députations lointaines étaient venues le visiter dans la vieille cité de Bélus ; il se préparait à faire le tour de l’Arabie, et on ne sait vraiment où il se serait arrêté si tant de puissance n’avait été soudainement arracher à tant d’activité. On eut de la peine à penser que le hasard seul de la mort eût choisi cette victime de qui dépendait un si grand avenir. D’ailleurs des indices pouvaient conduire dans cette voie. Durant le cours de ces campagnes qui avaient mené Alexandre jusqu’à l’Indus, bien des haines s’étaient développées dans le cercle de ses plus intimes officiers, et, soit qu’il se fût livré trop hâtivement à des soupçons, soit que réellement des complots eussent été tramés contre lui, il avait plusieurs fois sévi. C’était, pour une raison ou pour une autre, une cour dangereuse, un service semé d’écueils, et il n’y aurait rien eu d’étonnant à ce que de secrètes vengeances eussent couvé auprès de lui.

Au moment de la catastrophe, un homme surtout se trouvait dans une situation menacée et par conséquent menaçante : c’était Antipater, commandant en Macédoine. Une grande victoire remportée sur les Lacédémoniens, qui avaient fait une diversion dangereuse au moment où Alexandre était au fond de l’Asie, porta très haut sa renommée et sa puissance. On prétendait, que ses services avaient attiré sur lui, non la faveur, mais la haine et le soupçon ; de plus, la mère du roi, qui était en querelles continuelles avec Antipater, ne cessait d’exciter l’esprit de son fils contre ce général. Aussi est-ce lui que la rumeur accusa de la mort d’Alexandre.

À ces présomptions générales, on ajouta des détails plus particuliers. Sur le moment, dit Plutarque, personne n’eut le soupçon d’un empoisonnement, mais on rapporte que, la sixième année, Olympias mit à mort beaucoup de monde et qu’elle fit déterrer les restes d’Iolas,