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l’expérience, et pleinement rationnelle, puisqu’elle systématise incessamment l’expérience incessamment acquise.

Cela a été dans tous les temps un sujet de controverse que de savoir si réellement la médecine possédait quelque efficacité pour la guérison des maladies, et quoique l’exercice de l’art ne discontinuât point parmi les hommes, toutefois cette perpétuité pouvait, pour bien des raisons, ne pas paraître un argument suffisant. Le doute se fondait sur les cas où les malades succombent, bien qu’ils soient traités médicalement, et sur les cas où les malades guérissent, quoiqu’ils ne reçoivent aucun soin médical. Comme chaque maladie est, à vrai dire, une expérience qui ne peut pas se recommencer, pour voir si, en employant un procédé différent, elle se terminerait autrement, il restait par ce côté une impossibilité de démontrer que la médecine eût aucune efficacité. Mais si l’on veut, considérant l’idée de poison, en écarter pour un moment tout ce qui s’y rattache de funeste et de destructeur, on comprendra que les substances toxiques fournissent une preuve irrécusable de la puissance des moyens à l’aide desquels on peut agir sur l’économie vivante. Au fond, il suffit de généraliser complètement cette notion et d’y voir, non pas ce qui exerce une action nuisible, mais ce qui exerce une action, quelle qu’elle soit. À ce point, le poison, c’est le remède. Or à qui saurait-il être douteux qu’à l’aide d’une foule de substances on produise dans le corps les changemens les plus variés et les plus considérables ? Le scepticisme ne portera aucunement sur la possibilité de modifier gravement l’organisme ; il ne peut porter que sur la possibilité de produire avec jugement, avec opportunité, ces modifications. La puissance est plutôt trop grande que trop petite, comme le montrent tant de poisons si promptement mortels sous la plus faible dose. On ne serait jamais embarrassé de causer chez l’être vivant les dérangemens les plus singuliers, mais on est souvent, en effet, très embarrassé pour rendre ces changemens profitables à l’homme malade. Ici. deux lumières interviennent, qui assurent la marche du médecin et lui apprennent à se servir avec utilité des moyens puissans qui sont à sa disposition : l’une, c’est l’expérience, qui a essayé les choses et montré les cas, les doses, les occasions ; l’autre, c’est la connaissance du corps malade, laquelle dérive fondamentalement de la connaissance du corps en âme. Par cette étude, le médecin acquiert une clairvoyance singulière, qui, dans mainte et mainte circonstance, lui permet de pénétrer en l’intimité des organes et d’apercevoir ce qui est pourtant caché à la vue. Quand il a ainsi déterminé le mal auquel il a affaire, il use avec fermeté et connaissance des moyens qui modifient profondément l’état des tissus et des fonctions.

Du côté de la pratique, la découverte d’Orfila porta immédiatement