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troubles et de dérangemens. Dès qu’un élément anatomique du corps est changé en quoi que ce soit, ses propriétés le sont également ; il produit sur les autres élémens une réaction différente de celle qu’il produisait auparavant ; ceux-ci s’altèrent de proche en proche, et c’est de la sorte et par cet enchaînement fatal (car il tient à des propriétés inhérentes) que dans ces cas la maladie se généralise et vient porter son empreinte en tous les points du corps.

Au fond, l’action du remède n’est pas autre. Lui aussi, changeant la propriété de tel ou tel élément, engendre une série de changemens dont l’expérience a démontré l’utilité suivant les cas de maladie. Il faut donc descendre de la conception nuageuse qui mettait l’organisme entier en présence d’une substance elle soumettait pour ainsi dire à cet empire. Tous les termes intermédiaires faisaient défaut ; le corps se présentait comme quelque chose sans connexion avec le poison ou le remède, qui semblaient posséder des propriétés directes sur la vie même. Pourquoi l’un agissait-il et pourquoi l’autre se laissait-il modifier ? Nulle réponse ne pouvait être faite à ces questions, ou, pour mieux dire, on y faisait une multitude de réponses illusoires dont l’histoire formerait une bonne part des systèmes médicaux. On est sorti de cette situation si peu scientifique du moment qu’aux propriétés chimiques des substances actives et aux propriétés vitales des élémens anatomiques on a rattaché le point de départ du dérangement total. En un mot, entre l’action du remède ou du poison et la modification subie par le corps, on ne connaissait aucun rouage intermédiaire ; tout paraissait immédiat. Or, dans le fait, tout est médiat, et ce n’est que par une succession d’engrènemens parfois, il est vrai, très rapide que les effets se généralisent.

Ici intervient la découverte essentielle d’Orfila, celle qui a donné une vraie originalité à ses recherches, et leur a imprimé le caractère de l’utilité à la fois théorique et pratique. Entre le contact du poison avec les surfaces digestives (car c’est par-là surtout que s’en fait l’introduction) et l’influence délétère qu’il exerce sur le système - se trouve une longue distance, une lacune qu’il s’agissait de combler. Le premier pas fut fait quand on reconnut que le poison ne restait pas immobile dans le lieu où il avait été déposé, mais qu’il était pris par les petites veines innombrables qui garnissent l’intestin, et de là charrié partout où le sang est porté. Un second pas, — et celui-là est dû à Orfila, — fut accompli quand on détermina davantage, cette absorption générale, démontrant que non-seulement la substance toxique est transportée dans le torrent circulatoire, mais encore qu’en beaucoup de cas elle choisit un lieu d’élection et va s’accumuler en certains organes. Là elle demeure jusqu’à ce que la mort survienne, ou que les forces et le traitement l’emportant, les dernières particules