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de l’homme, on ne le représentera comme en rapport non-seulement avec le gros des choses et l’ensemble cosmique où il est placé, mais encore avec une multitude de substances minérales, végétales, animales, qui ont une action directe sur lui. C’est par-là en effet que l’homme peut tant influer sur sa propre santé, sur sa propre conservation. Les influences générales ne sont pas à sa disposition : il ne régit ni la chaleur du soleil ni celle de la terre. Les modifications météorologiques ne lui sont pas plus soumises que les tempêtes qui ébranlent l’océan ; tout au plus peut-il, par un travail bien conduit, restreindre les forêts, resserrer les marécages, développer la culture et diminuer ainsi les causes de destruction. Mais ces choses particulières dont j’ai parlé (et la chimie en accroît continuellement le nombre), ces choses salutaires ou funestes, suivant l’usage qu’on en fera, sont là remises à son jugement et à son savoir comme autant d’instrumens. Un célèbre médecin de l’antiquité, Héroplile d’Alexandrie, appelait les remèdes les « mains du médecin. » Toutes ces substances d’une action effective et spéciale sont, on peut le dire, autant de mains à l’aide desquelles on intervient dans la santé pour l’entretenir, dans la maladie pour la guérir.

Par un autre côté aussi, le poison tient de très près au remède, je veux dire par l’efficacité élective en vertu de laquelle l’un et l’autre modifient les parties vivantes. On se ferait une très fausse idée de cette action, si on se la figurait toujours sous l’image des acides ou des alcalis puissans. Ceci est une action qu’on peut appeler grossière et brutale ; l’acide et l’alcali, en vertu de leurs affinités, séparent les élémens des tissus vivans, s’en approprient quelques-uns, et de cette façon les désorganisant, les livrent immédiatement à la gangrène et à la mort. Il est bien clair que dans ces cas, quand la puissance délétère a corrodé l’estomac et les intestins, la vie n’est plus possible ; ce sont là de véritables blessures, et c’est comme le fer ou le plomb qui vient déchirer les organes. Mais dans beaucoup de circonstances les choses se passent tout autrement ; la lésion locale est nulle ou de peu d’importance, et cependant les accidens les plus graves se manifestent ; une profonde perturbation s’empare de toutes les fonctions, les rouages essentiels de la vie sont ou suspendus ou déconcertés, et tout se hâte vers une catastrophe.

D’où viennent ces effets formidables ? De deux conditions qui sont connexes : la première, c’est que le poison va, par son contact et sa combinaison, exercer une action déterminée sur un élément - déterminé aussi - du corps vivant ; la seconde, c’est que cet élément, ainsi modifié, modifie nécessairement à son tour celui avec lequel il a des rapports physiologiques, et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’organisme tout entier se trouve engagé dans cette série croissante de