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dépasse infiniment le pouvoir scientifique des âges antérieurs, et suppose un avancement de la chimie et de la pathologie sans lequel le problème demeure absolument insoluble.

Tout est connexe dans les choses de l’histoire, pour répondre avec une suffisante certitude aux questions que pose la justice, il faut d’une part isoler chimiquement le poison, et pour cela des connaissances chimiques très précises sont nécessaires. D’autre part, il faut connaître la marche des maladies naturelles et de celles qui soit d’origine vénéneuse, et pour cela des connaissances étendues en pathologie sont requises. Or la chimie n’a pu naître et se développer que quand la physique se fut établie, car que serait une chimie sans notions préliminaires sur la chaleur, sur l’électricité, sur le magnétisme, sur le son, sur la lumière, sur la pesanteur ? — et la pathologie n’a pu prendre consistance que quand les lois de la vie ont eu pour base les lois chimiques, car que serait une doctrine des êtres vivans où tout d’abord on ignorerait les compositions et décompositions élémentaires ? On le voit, pour que le juge interroge, pour que le médecin réponde, un immense développement doit se faire, qui ne comprend guère moins que la totalité de l’évolution humaine ou l’histoire, — la science de la chimie et celle de la vie n’ayant atteint un point suffisant d’élaboration que vers la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci.

On donne le nom de toxicologie à l’ensemble des connaissances qui ont pour objet les poisons, comprenant les caractères chimiques qui les distinguent, les effets qu’ils produisent sur les corps vivans, les remèdes qu’on peut leur opposer, et enfin les moyens à l’aide desquels on les reconnaît dans le corps des personnes empoisonnées. Le mot même est un exemple remarquable du trajet que font les significations. Sans parler de la finale qui, synonyme de doctrine, provient d’un primitif grec voulant dire cueillir, ramasser, ce qui indique comment d’une idée, purement physique on a fait une idée abstraite et purement intellectuelle ; sans parler, dis-je, de cette finale, — toxique, qui signifie en grec poison, vient du mot qui exprime l’arc ; par conséquent nous sommes reportés au temps où les peuplades grecques, placées encore à un état relativement primitif, empoisonnaient, comme font encore aujourd’hui plusieurs tribus sauvages, leurs flèches pour tuer le gibier ou les ennemis. Puis ce venin, destiné à la chasse ou à la guerre, est devenu le nom commun de tous les poisons ; enfin, transporté dans la langue anglaise, intoxication a pris le sens d’ivresse. En cet échantillon étymologique, on part de l’idée du mot arc pour arriver aux idées d’empoisonnement et d’ébriétè, et l’on suit sans peine tous les degrés par lesquels l’acception primitive s’est transformée. C’est grâce à ce travail que,