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serai peut-être sauvé. — C’est donc là le dernier mot de Pascal Il foule aux pieds toute science humaine, il déclare la raison impuissante, il déchire en lambeaux la philosophie comme un chiffon souillé de boue ; il l’insulte comme un drapeau déshonoré par l’orgueil et l’impiété, et, demeuré seul sur les ruines de la certitude, Dieu échappe à son esprit défaillant : sa foi n’est qu’un cri d’angoisse.

De quel côté se trouve l’impiété ? Est-ce du côté de la philosophie, qui prépare l’homme à l’intelligence de la Divinité par l’étude de la conscience ? N’est-elle pas plutôt du côté de Pascal, qui veut abêtir l’homme pour le soumettre à la foi ? Est ce honorer Dieu que de chercher dans la dégradation de la créature la source même de toute soumission au Créateur ? Ce que Pascal appelle un acte de foi n’est-il pas tout simplement un blasphème ? Que dit-il en effet ? que signifie sa prière ? Les facultés que vous m’avez données ne me permettent pas de vous comprendre et de m’élever jusqu’à vous. Pourtant je veux croire en vous ; je veux me ranger sous la loi que vous avez révélée. Quel parti prendre ? Je n’ai pas le choix. Il ne me reste qu’un seul moyen de salut : je répudie le plus beau de vos présens, je répudie ma raison ; je ferme les yeux pour apercevoir la lumière ; je renonce à comprendre pour croire. — Quel encens plus grossier, je le demande, fut jamais offert à la Divinité ? Et cependant la prière de Pascal n’a pas d’autre sens. Ou les mots de notre langue ont perdu leur valeur, ou sa foi, qu’il essayait de rendre fervente, n’était qu’une injure à celui qu’il invoquait comme un consolateur.

La doctrine de la grâce, exposée par saint Augustin et reprise par l’évêque d’Ypres, explique surabondamment l’aversion de Pascal pour toute philosophie. Cette doctrine, en substituant la volonté divine à la volonté humaine, ruine du même coup la liberté de pensée aussi bien que la liberté d’action. Selon saint Augustin et Jansénius, Dieu envoie la grâce, à ses élus, et la grâce est la source unique des bonnes œuvres. La liberté d’action une fois abolie, il est évident qu’il n’y a plus de responsabilité morale. Les bonnes œuvres étant accomplies par Dieu lui-même et non par l’homme, on ne comprend plus ni le châtiment ni la récompense, car ceux qui ont mal vécu n’étaient pas libres de bien vivre, puisque la grâce leur manquait, et ceux qui ont bien vécu n’étaient pas libres de mal vivre, puisqu’ils avaient la grâce. Saint Augustin et Jansénius ont soin d’affirmer, expressément que Dieu, pour envoyer la grâce, ne tient compte ni du mérite ni du démérite ; sa prédilection n’a pas besoin d’être justifiée. Vouloir lui assigner un motif serait porter atteinte à la liberté divine. En présence d’une telle doctrine, quelle philosophie pourrait subsister ? Une fois engagé dans cette voie périlleuse, Pascal était condamné fatalement à proclamer l’impuissance absolue