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un salon où son frère recevait des leçons de grec. Sans avoir l’air d’y faire attention, elle en profita mieux que lui, car un jour, comme il ne pouvait répondre à une question qui lui était adressée par son professeur, sa sœur le fit de manière à surprendre ce dernier. Ses parens chassèrent alors les deux jésuites espagnols Colomès et da Ponte de son éducation; ses progrès dans le grec lui permirent bientôt de lire des vers de sa composition dans cette langue à l’académie Degli Inestricati, dont elle devint membre. D’autres sociétés savantes de la péninsule s’empressèrent de se l’associer. En 1794, le sénat de Bologne nomma Clotilde professeur à la chaire de grec, qu’elle conserva jusqu’en 1798. Elle en fut alors privée pour refus de serment civique. Clotilde, dit-on, faisait son cours toujours voilée. Plus tard, le vainqueur d’Italie, Napoléon Bonaparte, fit réintégrer son nom sur la liste des professeurs; mais elle ne s’occupa plus que de sa vaste correspondance avec la plupart des érudits de l’Europe. L’un des plus grands hellénistes du siècle, d’Ansse de Villoison, disait d’elle : « Il y a en Europe trois hommes capables d’écrire comme la Tambroni, et quinze au plus qui puissent la comprendre. » Clotilde finit ses jours en 1817, laissant ses travaux manuscrits à son frère, qui eut, à ce qu’il parait, l’intention de les publier; mais la mort l’en ayant empoché, ils sont restés jusqu’à présent inédits.

Parmi les hommes de mérite que formèrent les leçons de Mezzofanti et qui se sont fait un nom, il faut compter l’honorable bibliothécaire actuel de Bologne, M. le docteur Liberio Veggetti, qui succéda. à son illustre maître; le chevalier Angellini, qui a fait paraître une traduction italienne de Sophocle justement estimée; Hippolyte Rosellini, le compagnon de Champollion en Égypte, auteur des Monumenti dell’ Egitto e della Nubia; enfin le plus digne de ces élèves, le savant numismate et archéologue le père Cavedoni, aujourd’hui préfet des antiquités et du médailler de Modène, qui ne parle jamais qu’avec une profonde vénération de celui qu’il appelle encore son ottinio ed esimio maestro.

Le polyglotte dont nous avons suivi jusqu’ici la carrière dans la studieuse solitude de la bibliothèque de Bologne et dans la chaire de l’enseignement va nous apparaître maintenant sur un nouveau et plus vaste théâtre. Une renommée qui avait retenti jusqu’au dehors de la péninsule italique, un apostolat de charité exercé dans les temps les plus critiques et en quelque sorte au milieu du tumulte des camps, de longs et importans services rendus aux lettres et à l’instruction publique, en un mot toute une vie de savant et de prêtre dévoué frayait à Mezzofanti la route des honneurs qui s’était ouverte déjà devant lui, et d’où sa modestie l’avait détourné. Au mois d’octobre 1826, Léon XII avait institué le cardinal Capellari préfet du collège de la Propagande. Il avait voulu reconnaître les services rendus par le savant camaldule à la philologie orientale. De vives sympathies devaient entraîner Capellari vers le linguiste bolonais, et bientôt en effet commencèrent entre eux des relations directes et fréquentes. Le nouveau directeur de la Propagande l’employa dans plusieurs négociations qui avaient pour objet la prospérité du collège auquel il était préposé. A peine monté sur le trône pontifical, le 2 février 1831, Capellari (Grégoire XVI) écrivait au cardinal Oppizzoni, archevêque de Bologne, pour l’entretenir de celui qui jetait tant d’éclat sur le clergé de cette ville et sur son université.