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bien la patrie absente, et qui leur parlait avec tant de vérité le langage de leur mère. Au milieu quelquefois d’intolérables douleurs que le cœur du prêtre savait charmer, ces braves mutilés s’abandonnaient à la résignation, au repentir, à l’espérance. La religion adoucissait l’amertume de leurs derniers momens.

Dans ce commerce de la charité et du dévouement, le linguiste acquit cette facilité de conversation et ces formes de langage simples et familières que les livres n’enseignent pas. Nommé en 1804 professeur de grec et de langues orientales à l’université de Bologne, il garda sa chaire jusqu’en 1808. À cette époque, les agitations du temps, les nouveaux orages qui vinrent fondre sur l’église et sur son chef suprême, en contristent son âme, lui firent préférer une studieuse retraite à l’enseignement public, et il devint professeur émérite; il en sortit en 1812 pour accepter la place de sous-bibliothécaire de la ville de Bologne, heureux de trouver dans ce dépôt littéraire toutes les ressources de la science, et dans le concours des étrangers qui le visitaient l’occasion de s’exercer à la pratique des langues vivantes. Deux ans plus tard, la main qui retenait la papauté captive à Fontainebleau lui rendit la liberté. Pie VII traversait en triomphe la Ligurie, le duché de Modène, et arrivait à Bologne, la seconde ville des états pontificaux. La position élevée qu’y occupait l’abbé Mezzofanti, sa fidélité à la papauté malheureuse et ses convictions politiques, sa renommée littéraire et l’auréole de vertu et de science qui ceignait son front, avaient rendu Pie VII désireux de le voir et de le connaître. Il demanda que Mezzofanti lui fût présenté, et après lui avoir fait l’accueil le plus gracieux, il lui offrit l’emploi de secrétaire du collège de la Propagande; mais le modeste bibliothécaire pria le pape d’agréer ses motifs de refus, fondés sur sa répugnance à briser les liens qui l’enchaînaient à sa ville natale, à ses amis, à ses habitudes et à ses travaux-Il obtint de Pie VII d’y rester fidèle. Vainement le pontife, rentré à Rome, insista de nouveau en lui faisant écrire par son ministre Consalvi; vainement Mgr Justiniani, délégué de la province, et Mgr Fieschi, son subdélégué, joignirent leurs efforts à ceux de Consalvi; rien ne put l’ébranler. Les raisons politiques qui lui avaient fait quitter l’enseignement public n’existant plus, il reprit le 18 avril 1814 sa chaire de langues orientales à l’université, dont il fut en même temps nommé régent (rettore). Le 15 août de la même année, il fut nommé bibliothécaire en titre. Il succédait dans ces dernières fonctions au père Pompilio Pozzetti, savant religieux des Écoles Pies, et l’un des littérateurs distingués de ce temps. Le père Pozzetti avait été bibliothécaire du duc de Modène et avait remplacé Tiraboschi, l’auteur de l’Histoire de la Littérature italienne.

Cependant la renommée du linguiste bolonais avait franchi les limites de la cité qui fut son berceau, et les honneurs et les distinctions venaient de tous côtés le surprendre dans son humble et paisible demeure. Tous les étrangers éminens par leur science ou leur rang social qui passaient par Bologne ambitionnaient de le voir et de l’entendre. Après la chute de l’empire français, lorsqu’il revenait occuper le trône qui lui avait été conservé, le roi Murat, en traversant Bologne, voulut s’entretenir avec l’illustre polyglotte, et lui offrit l’ordre royal des Deux-Siciles. En 1819, l’empereur d’Autriche, pendant son court séjour à Bologne, témoigna le même désir. Le monarque le reçut entouré des hauts dignitaires de sa cour et d’officiers supérieurs