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l’amour-propre national peut suffire pour leur faire oublier que le droit n’est point de leur côté. Les uns en effet paraissent envisager les éventualités avec la seule satisfaction de braves officiers qui trouvent l’occasion de se battre sans se soucier du motif, les autres avec un parfait scepticisme, d’autres encore, assure-t-on, avec une douleur qui ne se cache point, parce qu’ils ne se sentent pas soutenus par la grandeur et l’équité de la cause, par cette ardeur naturelle qu’inspirent les encouragemens de l’opinion dans une généreuse entreprise. Ces derniers ne peuvent contenir leurs plaintes et l’oppression de leurs noirs pressentimens, et il nous a été rapporté par des personnes dignes de foi que l’un de ceux-ci était allé jusqu’à verser publiquement des larmes dans un salon de Bucharest. On avait déjà vu au reste l’expression de dispositions semblables à la veille de l’expédition malheureuse qu’un corps de l’armée d’occupation tenta, lors de l’insurrection de Hongrie, contre les troupes de Bem concentrées dans la Transylvanie méridionale.

Il n’appartient aujourd’hui qu’aux événemens de dire ce qu’il y a de vrai ou de faux dans ces pressentimens, et quelle tournure pourront prendre les opérations militaires; mais il paraît dès à présent probable que le poids de la guerre va d’abord peser sur les deux principautés. C’est sur elles que s’est consommée l’infraction aux traités contre laquelle la Porte réclame à main armée. Ce sont elles qui ont subi les charges et les avanies de l’occupation. Il ne leur manquait plus, pour connaître d’un seul coup toutes les calamités du protectorat, que de devenir le théâtre de la guerre entre la cour protectrice et la cour suzeraine.

Ici s’arrêtent nos informations en ce qui regarde les principautés. Après avoir séjourné à Bucharest, le voyageur distingué auquel nous empruntons ces détails a passé sur l’autre rive du Danube et visité aussi l’armée ottomane, qui attendait alors avec impatience la déclaration de guerre. Nous pouvons dire dès à présent que l’armée turque lui a laissé une impression favorable, qu’il l’a vue, dans toutes les positions importantes où il s’est rendu, payant exactement ce qu’elle consommait, pourvue de chariots suffisans pour les transports et tenue dans une juste discipline par le zèle de sa cause. Il ne se dissimule point les imperfections des troupes turques, ni les innombrables difficultés de la tâche qui leur est assignée; mais il voit dans le seul fait de cette armée si promptement mise sur pied un témoignage non équivoque de la vitalité de l’empire ottoman, et il s’en réjouit en pensant que le principe de l’intégrité de cet empire est de toute manière digne des efforts que l’Europe pourra faire pour le sauvegarder.


V. DE MARS.


LE CARDINAL MEZZOFANTI.
Esquisse historique, par M. A. Manavit ; 1 vol. i-8°, Paris, Sagnier et Bray, 1853.

En 1849, Rome, bouleversée par les passions et le tumulte d’une révolution, vit s’éteindre obscurément un homme qui a été une des gloires de l’Italie moderne, le cardinal Mezzofanti. Ce nom réveille le souvenir du plus étonnant linguiste qui fut jamais, du génie le plus admirablement doué pour