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alimentaires. Nous disons que c’était le prétexte ; au fond, le gouvernement et ses amis ont cru apercevoir dans ce mouvement la trace d’une coalition des partis extrêmes, du parti mazzinien et de ce qu’on nomme le parti clérical, cherchant à exploiter la question alimentaire, qui a sa gravité dans le Piémont comme dans bien d’autres pays. Au surplus, le pouvoir de M. de Cavour ne s’est trouvé nullement ébranlé de cette passagère effervescence soulevée contre lui, C’est la politique du président du conseil qui règne encore aujourd’hui à Turin sans conteste, et elle vient de se manifester par quelques actes qui ne sont pas sans signification. Le gouvernement piémontais a nommé un certain nombre de sénateurs, et parmi ceux-ci se trouvent deux illustres émigrés lombards naturalisés sardes, le comte Casati et le comte Borromeo. En outre, M. Ratazzi est entré au conseil comme ministre de la justice, à la place de M. Boncompagni. Il ne serait point juste sans doute d’attacher un sens politique trop tranché à cette modification ministérielle. Cette nomination n’a d’ailleurs rien de bien surprenant après l’appui que M. de Cavour avait donné l’an dernier à M. Ratazzi pour son élection à la présidence de la chambre des députés. Si nous remarquons cette introduction d’un nouvel élément libéral dans le cabinet de Turin, c’est parce que depuis quelque temps, il nous semble, M. de Cavour a laissé percer en plusieurs circonstances son antipathie contre le parti clérical. Or il faudrait prendre garde de ne point confondre sous ce nom, à côté de quelques hommes extrêmes, la masse du parti conservateur que la politique du président du conseil peut ne pas toujours satisfaire complètement. Trop abuser d’un certain libéralisme qui ne répondrait à rien dans le pays, c’est certainement un des pièges les plus dangereux pour le Piémont. M. de Cavour est un homme d’une intelligence trop vive et trop perspicace pour ne point savoir que le meilleur moyen aujourd’hui d’être vraiment constitutionnel, c’est d’être conservateur, et quand on est conservateur, de ne point craindre de s’appeler de ce nom. Il y a incontestablement en Piémont les élémens d’un grand parti tenant avant tout à respecter toutes les traditions du pays et ne demandant pas mieux en même temps que de coopérer aux réformes justes et sages. C’est là la véritable force de tout pouvoir appelé à diriger et à assurer les destinées constitutionnelles du Piémont.

CH. DE MAZADE.

L’OCCUPATION RUSSE DANS LES PRINCIPAUTÉS DU DANUBE.

Le caractère nouveau que viennent de prendre les affaires d’Orient donne un intérêt particulier à tout ce qui peut éclairer l’opinion sur les faits qui ont précédé la récente déclaration de guerre de la Porte. Un voyageur de distinction, que le désir d’observer de près les événemens a conduit dans les principautés, a bien voulu nous communiquer les impressions qu’il a recueillies, et même, relativement à divers points d’une nature délicate, les confidences qui lui ont été faites sur les lieux mêmes. Parmi ces informations, nous choisissons celles qui nous paraissent les plus propres à donner une idée exacte de l’état présent des choses. En puisant dans ces notes abondantes et précieuses avec toute la confiance qu’elles nous inspirent, nous les