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portion du continent, du continent tout entier peut-être, ne saurait être à la merci d’un incident qui s’est passé en dehors même de l’action immédiate des chefs des deux armées. Mais les représentans de l’Europe à Constantinople possèdent-ils effectivement par devers eux tous les élémens d’une conclusion définitive et pacifique de ce déplorable différend ? N’ont-ils pas eu au contraire à en référer à leur gouvernement respectif ? Et dans ce cas, à quoi pourrait servir un laps de temps si court, qui est expiré déjà ou qui va expirer ? D’un autre côté, cette courte et insuffisante suspension pourrait-elle être considérée comme le préliminaire d’une trêve un peu plus longue laissée à une médiation plus décisive et plus heureuse ? C’est là ce qu’on peut se demander, et ce que les événemens viendront promptement éclaircir sans doute. Aussi bien, quelque poids que doivent nécessairement avoir les circonstances nouvelles, elles ne nous semblent point changer essentiellement l’état de la question. C’est une phase de plus dans cette lutte entre les deux tendances que nous signalions, — entre la fatalité d’un différend qui, pris en lui-même, semble ne pouvoir se dénouer que par la guerre — et le besoin supérieur de la paix qui s’interpose sans cesse pour conjurer, ajourner ou faire cesser les conflits. Dans ces termes, les considérations que publiait, il y a quatre jours, le Moniteur ne sont point sans être encore applicables à la situation actuelle. Que disait en effet cette déclaration ? Elle montrait les hostilités sur le point de s’ouvrir entre la Russie et la Turquie; elle représentait la France et l’Angleterre comme profondément intéressées à l’intégrité de l’empire ottoman et prêtes à suivre en commun les événemens par l’entrée simultanée de leurs flottes dans les Dardanelles; elle laissait voir enfin, en ce qui touche l’Autriche et la Prusse; une différence de jugement et de conduite plutôt qu’une différence d’intérêts, expliquant ainsi comment les puissances allemandes se séparent de l’Angleterre et de la France dans les démonstrations maritimes des deux gouvernemens, comment leur concours est naturel dans l’œuvre diplomatique qui peut rester à poursuivre encore : de sorte qu’en réalité, aujourd’hui comme hier et demain comme aujourd’hui, il y a toujours ce double fait, — un conflit local possible et un intérêt européen servant en quelque sorte de limite à ce conflit et le dominant à un moment donné. Il y a toujours en un mot une question turque et une question européenne. Quels que soient les incidens secondaires, c’est la considération supérieure qui est la raison et la clé de tout, plus manifestement encore dans la crise actuelle que dans les crises précédentes de l’Orient.

Ce qu’on peut dire de la Turquie au moment où la diplomatie cherche encore une fois à lui épargner les horreurs de la guerre, et quant à l’intérêt de sa préservation propre comme état souverain, c’est que lorsqu’elle s’est sentie en présence d’une lutte inévitable et imminente, elle s’y est résolue avec une certaine fermeté virile. Au milieu de toutes les causes d’impuissance et de ruine qui travaillent cette masse incohérente de l’empire des Osmanlis, il s’est retrouve quelque chose de ce soulèvement de l’instinct national qui est l’honneur des peuples ayant beaucoup vécu par la guerre et espérant toujours se relever par elle. C’est le témoignage que rendent à la Turquie ceux qui la visitent en ce moment, et qui la voient à l’œuvre dans ses vastes préparatifs guerriers. Il ne faut point tout accepter sans doute, il ne faut pas se