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paix et la guerre, voyant chaque jour se rétrécir le terrain des arrangemens possibles et diminuer les moyens de conciliation, jusqu’à ce qu’enfin, par un suprême effort, il faille bien en venir à un dénouement; et plus on approche de ce dénouement, plus il semble qu’on voie ces deux tendances dont nous parlons se mêler, agir à la fois et se disputer la solution de cette périlleuse crise politique dont l’issue reste encore un mystère.

En ce moment même, par exemple, est-ce la paix, est-ce la guerre, qui triomphe en Orient ? C’est la guerre et la paix tout à la fois, pourrait-on dire, tant il est difficile de caractériser la situation actuelle sur la simple apparence des choses. La réalité est qu’à l’instant où la guerre était définitivement proclamée entre la Russie et l’empire ottoman, les représentans des quatre grandes puissances occidentales à Constantinople faisaient une dernière tentative et obtenaient du divan un répit d’une semaine dans l’ouverture des hostilités. Comment ces faits se sont-ils produits, et quelle en est la signification réelle ? Il suffit de les indiquer en les rapprochant de leur date. Il y a peu de jours, comme on sait, après six mois d’attente, d’incertitudes et d’efforts infructueux, la question d’Orient semblait décidément sortir du domaine des négociations et passer sur un autre terrain, sur le terrain de l’action. On a pu lire le dernier manifeste où la Sublime-Porte résumait ses griefs avant d’accepter la lutte. On connaît la lettre par laquelle le prince Gortchakoff était sommé, au nom du gouvernement ottoman, d’évacuer les provinces moldo-valaques. Placée sous le coup de l’invasion d’une partie de son territoire et en présence de l’insuccès trop évident de la médiation européenne, comment la Turquie aurait-elle pu agir autrement ? Elle ne le pouvait sous peine d’abdication. Que manquait-il à cette situation pour constater un pur et simple état de guerre ? Était-ce un engagement effectif entre les troupes des deux pays ? était-ce le sang répandu ? Dans le fait, cet engagement a eu lieu, et le sang a été versé, à ce qu’il semble. Une flottille russe ayant tenté de forcer le passage du Danube a essuyé le feu de la forteresse turque d’Isactcha, entre Reni et Ismaïl. Un lieutenant-colonel russe, trois officiers et un certain nombre de matelots ont été tués, sans compter les blessés, à la suite de quoi les Russes, assure-t-on, ont brûlé la forteresse d’Isactcha. C’est le 23 octobre que cet engagement avait lieu sur le Danube, bien que sur un point assez différent de la ligne principale d’opération des deux armées. Or, qu’on le remarque, c’est le 21 que se produisait à Constantinople le fait, révélé par le Moniteur, d’une tentative nouvelle faite auprès du divan par les représentans des grandes puissances. C’est le 21, sinon avant, que les ministres européens. obtenaient du sultan l’ordre d’ajourner le commencement des hostilités jusqu’au Ier novembre, à moins que les hostilités ne fussent déjà ouvertes, auquel cas l’ordre devait être considéré comme non avenu.

Maintenant il découle de ceci un certain nombre de questions qui ne sont point sans importance. D’abord l’engagement qui a eu lieu sur le Danube, postérieurement à cette récente tentative, est-il de ceux qui annulent virtuellement l’ordre du sultan ? On ne saurait hésiter sans nul doute sur le sens à donner à cette parole, si les ministres européens étaient en mesure de proposer un moyen sérieux et efficace d’arrangement. La paix d’une