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dit par une brochure dans laquelle, contre son habitude, il se montrait parfaitement calme, modéré, occupé presque uniquement de réfuter les calculs de Mirabeau. Néanmoins, comme il est difficile de chasser complètement le naturel, il laissait échapper un calembour qui n’était pas d’un goût exquis ; comparant les brochures de Mirabeau aux Philippiques, il les appelait des mirabelles, et de plus sa péroraison, sous une apparente courtoisie, laissait percer des doutes sur les motifs plus ou moins désintéressés qui avaient conduit la plume de Mirabeau. Il n’en fallait pas davantage pour faire bondir un lutteur qui ne demandait que plaie et bosse. La réplique ne se fit pas attendre ; Mirabeau riposta par une seconde brochure dans laquelle, laissant à peu près de côté les eaux de Paris, il prenait l’auteur du Mariage de Figaro à la gorge, défigurait toute sa vie, et le secouait rudement au nom de la morale et de l’ordre public. Mirabeau, le ravisseur de femmes, défendant les bonnes mœurs contre Beaumarchais ; Mirabeau, qui, au donjon de Vincennes, écrivait et faisait vendre sous l’anonyme de véritable ordures[1], reprochant à Beaumarchais la licence de ses écrits ; Mirabeau enfin, le tribun futur qui devait invoquer les Gracques et Marius, demandant compte à Beaumarchais de ses attaques contre les ordres de l’état, m’a toujours paru un spectacle plus réjouissant qu’émouvant. Une circonstance suffira pour donner une idée de la bonne foi de Mirabeau dans cette polémique. Parmi les griefs allégués contre Beaumarchais, un de ceux sur lesquels il appuyait très vivement, c’étaient les relations de ce dernier avec Morande ; l’amitié d’un tel homme était, disait-il, un opprobre pour l’auteur du Mariage de Figaro. Qu’on juge de la fureur de Morande en recevant à Londres le pamphlet de Mirabeau, quand on saura qu’il avait dans les mains les billets les plus charmans adressés à lui, Morande, par ce même Mirabeau, qui, peu de temps auparavant, se trouvant en Angleterre et ayant besoin du rédacteur du Courrier de l’Europe, l’invitait à dîner, se déclarait son meilleur ami et le courtisait de son mieux ! Il faut être très éloquent pour se permettre de pareilles audaces. Ce fait, que j’ai eu occasion de vérifier moi-même, me porte à penser qu’il doit y avoir quelque chose de vrai dans un petit détail du manuscrit de Gudin, destiné à expliquer la cause primitive des attaques de Mirabeau.


« Le comte de Mirabeau, dit Gudin, ne subsistait guère que d’emprunts, il vint trouver Beaumarchais ; l’un et l’autre ne se connaissaient que de réputation, la conversation fut vive, animée, spirituelle entre eux ; enfin le comte,

  1. Il ne s’agit point ici de la correspondance de Vincennes, qui ne mériterait point cette qualification, et qui d’ailleurs ne fut pas publiée par Mirabeau, mais de plusieurs ouvrages cyniques tels que l’Erotika Biblion, Ma Conversion, etc., que Mirabeau, dans sa prison, écrivait pour se procurer de l’argent, et dont, par une tolérance assez bizarre, la police lui facilitait la vente.