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coup plus énormes (mucho mas enormes) que ceux du Barbier de Séville. Les calomnies et les satires contre notre nation, l’oubli de la décence et de la vérité et l’abandon de toute vraisemblance sont les principales qualités qui décorent cette pièce. Pour ce motif, et comme d’ailleurs j’ai lu une lettre écrite à une dame espagnole qui réside à Paris par un habitant de Madrid, dans laquelle le Mariage de Figaro se trouve analysé et ridiculisé avec assez de grâce, et comme cette lettre circule en manuscrit parmi tous les gens de goût, je me crois dispensé du pénible travail de relire une aussi méprisable farce, et cependant cette comédie, avec tous ses défauts, a ses partisans, même parmi nous. Rien n’est plus commun que de voir des gens se permettre de juger ce qu’ils n’entendent pas. Plusieurs pensent que la poésie est chose si commune, que chacun peut apprécier ses productions comme s’il s’agissait des choux et autres légumes qui se vendent au marché[1]. »


Cette appréciation de La Huerta ne peut pas être prise comme l’expression exacte de l’opinion de ses compatriotes sur les comédies de Beaumarchais, d’autant plus que La Huerta nous apprend lui-même que ces ouvrages comptent des partisans en Espagne. Cependant nous avons eu l’occasion de constater qu’ils n’ont pas eu de l’autre côté des Pyrénées autant de retentissement que dans plusieurs autres pays. Des Espagnols assez instruits que nous avons consultés ne connaissaient même pas le Mariage de Figaro. Ce fait s’explique assez bien quand on réfléchit que c’est précisément cette teinte espagnole très légère et plus ou moins exacte, appliquée sur un fonds d’idées et de mœurs françaises, qui, en donnant pour nous Français aux comédies de Beaumarchais une physionomie plus piquante, rend ce mélange beaucoup moins intéressant pour des Espagnols, choqués surtout de ce qu’il peut offrir d’hétérogène.

Quoi qu’il en soit, malgré les anachronismes qu’un Espagnol découvre facilement dans le costume de Figaro, et malgré les défauts plus graves que la critique française a pu reprocher à ce caractère, Beaumarchais en a fait une de ces créations qui restent dans l’histoire de l’art et dans la mémoire des hommes. Figaro vivra autant que Panurge, autant que Gil Blas. Il y aurait, ce me semble, un travail instructif et nouveau à tenter sur Figaro, il y aurait à comparer ce personnage à tous les personnages de même nature, à montrer que Figaro est en même temps le roi et le dernier des valets de comédie. Beaumarchais est arrivé juste à un moment où ce type traditionnel, représenté par l’esclave dans la comédie antique, et qui s’est continué à travers les siècles jusqu’à nos jours en se modifiant, avait absolument perdu toute signification. En lui donnant sa der-

    doit être encore plus difficile à traduire en espagnol que celui de La Jeunesse ou de L’Éveillé.

  1. Theatro Hespañol, por don Vicente Garcia de La Huerta, préfaces des t. V et XIII.