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sa bouche des paroles émues et dans ses yeux des larmes sincères, le public se demande si ce n’est pas encore là une plaisanterie, et tandis que Figaro pleure réellement, le parterre éclate de rire. Nous avons eu occasion de constater plusieurs fois cet effet de scène, qui ne manque jamais, et qui certainement n’était pas dans les intentions de Beaumarchais.

Ce persiflage universel, accompagné d’une assez grande indécence de mots, d’idées et de situation, est évidemment ce qui constitue, au point de vue moral, le côté faible du Mariage de Figaro. Néanmoins, soit que notre siècle, avec ses belles prétentions d’austérité, n’ait guère plus de vertu que le siècle précédent, soit que la gaieté spirituelle et intarissable qui assaisonne tout cela ne laisse pas au public le temps de s’arrêter sur ce qui le choquerait, il est certain que les mots équivoques et les situations scabreuses ne nuisent pas au succès de la pièce. Nous avons vu quelquefois, à des représentations du dimanche, de très honnêtes figures de mères de famille s’épanouir et rire avec délices des saillies les plus risquées de Figaro ou des jeux de scène du cinquième acte, sans paraître s’étonner beaucoup de ce qu’il y a de grivois dans les uns, de choquant et d’invraisemblable dans les autres. Le public, dans son ensemble, est peut-être après tout beaucoup plus innocent que nous tous, qui faisons de la critique et qui, pour employer une expression triviale, mais juste, cherchons des vers dans les cerises ; il s’amuse de ce qui lui semble spirituel et amusant, et il n’en demande pas davantage.

Considéré au point de vue de l’art et dans ses rapports avec la comédie antérieure à Beaumarchais, le Mariage de Figaro, quoiqu’il soit moins judicieusement intrigué et écrit avec plus d’inégalité et d’affectation que le Barbier de Séville, offre plus d’ampleur et plus d’originalité, en ce sens qu’il représente plus complètement cet instinct et ce goût d’innovation qui distinguaient l’auteur.

On l’a déjà très justement remarqué, ce qui caractérise la comédie entendue à la manière de Beaumarchais, c’est la modernité, c’est-à-dire l’exclusion, ou du moins, en ce qui touche Figaro, la transformation absolue de toutes les traditions et de tous les types de la comédie antique ; ce qui la caractérise encore, c’est la fusion de tous les genres de comédie que Molière avait jusque-là traités séparément dans le Misanthrope, dans l’École des Femmes et dans les Fourberies de Scapin, un mélange parfois un peu incohérent, mais brillant et original, de tons et d’effets empruntés à la comédie d’intrigue, à la comédie de mœurs et de caractère et à la haute comédie. Le Mariage de Figaro offre des alimens pour tous les goûts ; il y a de l’analyse philosophique, même dans les parties où, comme dit Sedaine dans une lettre à Beaumarchais, la philosophie prend des allures de