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révocation de l’édit de Nantes chassait de leur pays. M. Weiss, dans son histoire des Réfugiés protestans, nous a montré par quels services les exilés payèrent la protection bienveillante de Frédéric- Guillaume. Sous le patronage du grand-électeur et de son successeur, cette colonie, qui ne comprenait pas moins de vingt mille hommes, prospéra rapidement : des établissemens littéraires, dirigés par des émigrés français, furent fondés à Berlin et à Halle, et répandirent l’usage de notre langue que le savant Abbadie recommandait par ses écrits. A cent ans de distance, la Prusse devait s’ouvrir à d’autres réfugiés : c’étaient les jésuites; chassés de toute l’Europe, ils ne trouvaient d’asile qu’auprès de l’incrédulité tolérante de Frédéric II.

Cette bienveillance pour les étrangers, cet esprit de tolérance universelle se retrouvent dans une conception singulière de l’électeur Frédéric-Guillaume : c’était le projet d’une cité toute littéraire, composée uniquement de savans de toutes les nations et destinée à recueillir tous ceux qui ne trouvaient pas dans leur pays une liberté suffisante pour leurs travaux. Tous les cultes y devaient être admis, toutes les opinions librement professées. On espérait que les puissances de l’Europe s’engageraient à respecter, dans les guerres à venir, cet asile commun des arts, des sciences et des lettres. C’était là sans doute un plan chimérique; mais quand on pense que c’était au sortir de la guerre de trente ans, quelques années avant la révocation de l’édit de Nantes, que Frédéric-Guillaume rêvait cette utopie généreuse, il faut avouer que cet homme devançait son siècle, et le nôtre même, soit dit sans vouloir nous déprécier.

On voit que Frédéric II trouvait dans sa famille des traditions libérales auxquelles il lui suffisait de rester fidèle; mais son père lui avait donné un tout autre exemple : dur, avare à l’excès, n’aimant que l’argent, le vin et la parade, méprisant comme inutiles les sciences et les arts, ce roi caporal détestait chez son fils aîné ces goûts littéraires, qu’il ne comprenait point, et l’on sait avec quelle brutalité il le traitait, ainsi que ses autres enfans. Sa fille même, la princesse Wilhelmine, n’échappait point à ses violences : un jour il la lança à coups de pieds par une fenêtre qui s’ouvrait jusqu’au plancher; heureusement la reine la saisit au vol, et la retint par ses jupes. Sous ce brutal, la Société des sciences, que Leibnitz venait de fonder à grand’peine, aspirait uniquement à se faire oublier : les académiciens n’osaient paraître en sa présence, « craignant, dit M. Bartholmèss, de recevoir une de ces démonstrations dont le roi était si prodigue, telles que coups de poings, coups de pieds, coups de canne. » Voilà du moins un prince dont on pouvait dire sans flatterie qu’il traitait les gens de lettres comme ses enfans. Un jour pourtant, dans une débauche, ce vandale soupçonne que son académie peut