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précautions les chances de tyrannie et d’asservissement, on avait généralement un vif désir de la mettre à l’épreuve. Les conventionnels, au contraire, s’en souciaient médiocrement. L’exécution franche et loyale de cette loi qu’ils avaient faite leur semblait un affreux danger; ils ne voyaient qu’un moyen de salut : tricher sur la mise en œuvre. «Tant vaut l’homme, tant vaut la chose, disaient-ils; notre constitution est bonne, mais à la condition que nous la pratiquerons nous-mêmes. » C’était finir comme ils avaient vécu, en vrais révolutionnaires. Pendant toute une semaine, les membres de la convention délibérèrent sur la question de savoir s’ils se rééliraient eux-mêmes, ou s’ils se feraient réélire par ordre dans les collèges électoraux. Ce dernier mode l’emporta. Il fut enjoint aux électeurs de choisir dans la convention les deux tiers de leurs futurs élus.

Une constitution ainsi comprise et inaugurée n’était pas née viable. N’eût-elle pas porté en elle-même les germes d’une mort prochaine, son temps était marqué. Modérée d’intention, mais au fond partiale et violente, assez libérale pour tolérer les plaintes et les remontrances, assez oppressive pour donner à toute une partie de la nation, à tous les vaincus de la république, de légitimes sujets de plainte et de révolte, elle condamnait d’avance le pouvoir chargé de la maintenir à la violer pour se défendre, et à se perdre en la violant.

On sait l’opposition que soulevèrent surtout à Paris ces décrets de fructidor imposant au droit électoral de si étranges restrictions. Soumis en même temps que la constitution à l’approbation des assemblées primaires, eux seuls étaient menacés dans cette épreuve. Une constitution soumise au suffrage universel n’est jamais refusée, comme le fait observer judicieusement M. de Barante : «Lorsqu’un gouvernement met en question son existence devant une population paisible et soumise, comme il ne propose pas à son choix un autre maître que lui, une autre constitution que celle qu’il vient de rédiger, le vote est forcé. Demander aux citoyens, aux pères de famille de répondre par oui ou par non si le lendemain le gouvernement disparaîtra et si on se passera de lois, c’est poser une question où la négative ne peut être prononcée que par les bandits d’une émeute. »

La constitution de l’an III n’était donc pas en péril devant les assemblées primaires; les décrets électoraux couraient seuls quelque danger. Ils révoltaient les consciences, et les révolutionnaires eux-mêmes ne savaient comment défendre cet attentat à la souveraineté du peuple. Dans les départemens, la convention était encore assez puissante pour faire peur : presque partout les décrets fuient adoptés; mais Paris les rejeta à une majorité immense, et ce premier refus fut suivi d’un second : les électeurs ne voulurent point se soumettre aux prescriptions qui limitaient leurs choix. L’assemblée irritée,