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les mêmes épreuves. S’ils ont été fondés par les mêmes moyens, on n’a pas eu à employer les mêmes moyens pour les soutenir. Ils ont eu presque tout de suite leur vie propre, indépendante de l’action administrative, et ils ont grandi absolument comme les Batignolles à côté de Paris. Nous ne nous sommes pas astreint d’ailleurs à un aride travail de nomenclature, et il n’entrait pas dans notre plan de donner une monographie de chaque village, comme si nous avions fait un guide de l’étranger en Algérie. Il est quelques villages que nous n’avons même pas nommés, ou qui ne l’ont été qu’en passant, tels que Douaouda, près de Koléah; Sidi-Ferruch, village maritime évacué ; le Fondouk, dont l’histoire n’est plus rien, quand elle cesse d’être une nécrologie. Ce qui a été dit de Boufarik suffisait pour ce dernier point. Nous avons donc essayé de fixer sur des exemples les caractères généraux ; nous sommes allé d’abord aux types, puis aux faits particuliers qui pouvaient avoir un intérêt à part, et quand nous n’avons rien trouvé, nous n’avons rien relevé. Ceci n’est pas non plus un tableau de la colonisation comme ceux que publie le gouvernement. Nous ne nous sommes servi de la statistique que lorsqu’elle nous a été nécessaire pour expliquer ou compléter l’exposé d’une idée ou pour faire ressortir un fait important. Nous n’avons voulu faire qu’une simple chronique de la conquête par la charrue, chronique prise sur le vif, sincère comme l’amour qui nous en a fait amasser les matériaux pendant deux ans, complète autant que nous avons pu la faire sans craindre de la faire trop longue.

Nous ne nous sommes d’ailleurs adressé qu’au passé. Nous avons dit ce que la colonisation a été, non ce qu’elle est. Cela nous laissait dans les régions sereines de l’histoire, au point, de nous ôter presque le besoin d’être impartial, et écartait même de nos opinions particulières jusqu’à l’apparence d’un caractère polémique. Nous savons au surplus quel essor a pris la colonisation grâce aux belles récoltes qui datent de 1849, ainsi qu’à quelques mesures qui ont ouvert des débouchés, et rendu le cours des choses au jeu naturel des lois économiques, l’administration à son vrai rôle en la débarrassant de ce système égyptien qui avait fait de Méhémet-Ali l’unique acheteur, l’unique vendeur, l’unique producteur même des richesses de son pays. Tout est donc changé, tout a grandi, tout est transformé. Peut-être n’est-il pas jusqu’au moulin de Melchior Pausson qui, aujourd’hui achevé, ne le mette bientôt à même de poser enfin un toit sur sa maison. Je n’ai donc plus rien à dire de Draria, sinon que ce village a dû voir redoubler la prospérité de ses carrières de pierre, ni d’El-Achour, sinon qu’il doit aujourd’hui confondre ses cultures avec les jardins de Tixeraïn.

Les villages que nous avions visités successivement nous avaient permis d’observer la vie coloniale en Algérie sous ses principaux aspects. La colonisation militaire et la colonisation civile nous avaient révélé tour à tour leurs inconvéniens et leurs avantages. Nous ne jugeâmes point nécessaire de prolonger notre excursion au-delà des villages du pied de l’Atlas. Le départ de M. de T... Pour la France ne pouvait plus d’ailleurs être différé, et deux jours après notre retour à Alger, il s’embarqua pour Philippeville. Je le laissai partir seul, mais le séjour que je fis bientôt à Staouéli, au cœur même de la colonisation, rappela plus d’une fois mon attention sur les problèmes que