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le canon ayant annoncé l’approche du maréchal, nous nous hâtâmes de redescendre à bord pour éviter la rencontre. La mer était grosse et le temps devenait de plus en plus mauvais. Il l’était déjà la nuit de notre départ de Ténès. Aussi, en repassant devant cette ville, M. de T... apprit que la caravelle n’avait pas pu prendre la mer pour porter sa lettre à Alger, ce qui le jeta dans une inquiétude et une agitation violentes. Heureusement la prolongation de son absence n’avait point été interprétée dans le. sens sinistre qu’il appréhendait, et il était en effet plus naturel de l’attribuer aux hasards imprévus d’un voyage d’exploration comme celui-là. Un accident ou un malheur arrivé à la compagnie du maréchal eût été immédiatement connu à Alger par le télégraphe, et le lendemain par les estafettes des bureaux arabes. Dès le lendemain de notre arrivée à Alger, nous nous remîmes tous deux en campagne sur des chevaux de troupe, ce qui nous valut l’escorte de deux chasseurs pour les garder et d’un brigadier pour commander les hommes.


III.

On connaît les trois principaux systèmes qui ont été essayés pour la colonisation rurale de la province d’Alger. Des renseignemens historiques précis sur quelques villages pris comme type, un choix de tableaux ou d’anecdotes empruntés à la vie des colons pendant une observation de trois années, suffiront pour compléter cette chronique de la conquête par la charrue, au point où les choses en sont aujourd’hui.

Nous sortîmes d’Alger un peu au hasard, et guidés seulement par une carte de la colonisation que j’emportais avec moi. Quelques indications fournies à M. de T... nous mirent d’abord à la recherche d’une ou deux fermes situées dans la direction de Cheragas; nous débutâmes par ce village.

Cheragas a été fondé en 1842 (18 octobre), comme la plupart des autres villages : 1842, c’est la grande année de la guerre et la grande année de la colonisation; tous les plans et projets furent faits dès cette année, toutes les fondations décrétées ou préparées. Quelques-unes seulement éprouvèrent un retard d’exécution qui les ajourna à l’année suivante ou à l’année 1844. La population de Cheragas se composait originairement d’une colonie de Provençaux venus de Grasse. Sur cinquante concessions, le gouvernement ne s’en était réservé que quatorze pour des colons d’autre origine. De ces quatorze concessionnaires, il n’en resta bientôt plus que deux : on fut heureux de recourir encore à la ville de Grasse pour combler les vides. Plus tard, un agrandissement de territoire ayant permis de porter le nombre des concessions à soixante-six, puis à soixante-dix-sept, la ville de Grasse fournit de nouveau douze familles. Le village est donc presque en entier formé de gens qui ont une communauté d’origine, d’idées, d’affections et d’habitudes; c’est là un grand élément de force, et cette circonstance n’a pas médiocrement servi à donner immédiatement au village de Cheragas un caractère de cohésion, de stabilité, qui a porté des fruits rapides.

Ces colons arrivaient pourtant dans les mêmes conditions à peu près que ceux des autres villages. A part deux ou trois qui apportaient de petites avances, les autres avaient à peine sur eux quelque argent de poche. C’est avec cela