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Averti de notre arrivée, le colonel Saint-Arnaud, qui commandait la subdivision, vint au-devant du maréchal au milieu d’un brillant entourage d’officiers. Nous avions déjeuné avant de partir, et il n’y avait guère plus d’une heure que nous avions quitté notre bivouac, lorsque dans cette vaste plaine nous commençâmes à distinguer la petite cavalcade à deux ou trois lieues en avant de nous. C’était faire plaisir au maréchal que de commencer à nous faire les honneurs d’Orléansville par nous montrer le beau jardin et la pépinière que la garnison a créés et entretient à un petit quart de lieue de la ville, du côté de Miliana. Le colonel Saint-Arnaud nous y mena donc d’abord; mais nous savions déjà ce qu’on pouvait attendre en ce sens des soins de l’armée, et combien elle avait été ingénieuse à se procurer les facilités ou les agrémens de la vie. Outre son jardin, Orléansville avait aussi une ferme militaire, une véritable exploitation agricole. Cette ferme est située de l’autre côté du Chelif, qu’on traverse sur un pont de bois à l’américaine, construit également par l’armée. Des chevaux de rechange nous attendaient dans la ville, et on ne nous laissa que le temps de passer d’un étrier à l’autre pour nous faire faire cette nouvelle excursion.

Le maréchal cependant était souffrant, et la demande de la députation de Miliana lui avait laissé de l’humeur. Il en avait souvent parlé pendant la route. Au dîner, il y revint. Il ne comprenait rien à cette manie. — Que veulent-ils ? Sont-ils fous ? Ils ont besoin de nous à chaque instant; ils ne peuvent rien faire sans nous; en tout, pour tout, ils ont recours à nous, et les voilà qui veulent se séparer de nous ! Où trouveront-ils dans l’autorité civile les ressources et l’assistance que leur fournit constamment l’autorité militaire ? Voyons, colonel Saint-Arnaud, puisque nous en sommes là, dites-nous ce que vous avez fait ici pour la population civile.

Le colonel Saint-Arnaud, dont la modestie était mise en jeu, s’en tira par des saillies qui ne répondaient pas précisément aux intentions du maréchal. Il vanta la superbe organisation qu’il avait donnée à la milice, la rigueur disciplinaire qu’il y maintenait, la beauté vraiment militaire qu’il avait donnée à ce corps, et dont on allait juger à l’instant, si le maréchal en témoignait le désir. — Mais aussi, ajouta-t-il, à la moindre négligence, je les mets dans le silo la tête la première. Voilà ce que j’ai fait pour eux.

On ne pouvait pas tenir à une pareille conclusion, et le maréchal pas plus que les autres, quoiqu’il n’y trouvât pas son compte : il y eut un rire universel; chacun en riant étudiait cependant le rire de son voisin. Un commandant du génie, chef du service dans la subdivision d’Orléansville, rajusta les choses en disant : « Messieurs, le colonel Saint-Arnaud n’a pas voulu se rendre justice à lui-même; mais il m’appartient de dire ce qui a été fait ici par ses ordres en faveur de la colonie. » Il raconta alors comment beaucoup de colons n’avaient pu bâtir leurs maisons qu’à l’aide du travail des soldats et des matériaux militaires, dont l’avance leur était faite par le génie; que les fonds mis par le budget à la disposition du génie pour ses travaux de tout genre avaient souvent servi à venir en aide aux colons, qui, à la vérité, les avaient fidèlement remboursés; qu’à défaut de ces fonds, le colonel Saint-Arnaud les avait souvent assistés de sa bourse, et qu’en ce moment plusieurs étaient encore ses débiteurs; que les transports de marchandises ou de matériaux