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qu’une armée doit traîner après elle, — considération très importante dans un pays sans routes, sans ponts, où il fallait néanmoins tout porter avec soi et lutter d’agilité avec un peuple qui a son clocher et sa patrie sur la selle de son cheval. L’effort de génie du maréchal Bugeaud a été surtout d’alléger son armée. Il a rejeté bien loin les gros canons, les gros caissons, tous les gros charrois du maréchal Valée. Il n’avait point de carrés à enfoncer, ni de redoutes à enlever; une simple artillerie de montagne portée à des de mulets devait suffire pour les grands jours. Avec son extrême bon sens, il a également rejeté le système de quelques généraux de cavalerie qui, à ce même point de vue du besoin d’alléger l’armée, voulaient que la guerre fût une guerre de cavalerie exclusivement, et reléguaient l’infanterie à la garde des places et des magasins. Le maréchal leur démontrait fort bien, d’abord que ce n’était point une guerre de cavalerie seulement, mais ensuite et surtout qu’une cavalerie obligée, comme on l’était presque toujours en Afrique, de porter avec elle son orge et sa paille serait plus lourde que l’infanterie même, parce qu’elle aurait plus d’impedimenta; qu’obligée aussi de garder elle-même ses bagages et ses ambulances, elle cesserait de pouvoir agir comme cavalerie, sans devenir apte aux services de l’infanterie. Quant à lui, il se représentait le rôle de l’infanterie dans cette guerre comme celui d’une forteresse mobile qui fait voyager avec elle ses magasins, et qui au besoin peut envoyer une partie de sa garnison faire des sorties sur l’ennemi. Dans ce système, l’infanterie, rendue aussi légère que possible, gardait d’abord le convoi, rendu lui-même très mobile par la substitution des bêtes de somme aux charrois. Du sein de cette forteresse, la cavalerie pouvait à volonté s’élancer, faire des pointes de dix, quinze, vingt lieues même suivant les circonstances, et se faire appuyer au besoin par une partie de l’infanterie qui, laissant le sac au convoi, n’emportait que ses armes et ses cartouches. A l’infanterie revenait d’ailleurs une partie essentielle des opérations de cette guerre, comme de découvrir et de vider les silos, raser les gourbis, quand il y en avait, détruire les oliviers, les figuiers et les autres plantations ou récoltes, toutes choses pour lesquelles le cheval est un compagnon inutile et gênant. Tout cela fait, on retournait au convoi, qui lui-même avait continué sa marche, et l’on se rejoignait à moitié chemin.

Par cette heureuse combinaison de moyens, chaque corps était en tout temps apte à rendre le maximum de services possible. La cavalerie était toujours et tout entière disponible et mobile. L’infanterie n’avait qu’à jeter son sac, qui venait lui-même la retrouver, pour devenir la plus légère des infanteries. Celle d’Afrique en marche était d’ailleurs extraordinairement chargée. Pour avoir le moins de convois et par conséquent le moins de mulets possible à conduire et à garder, on mettait sur le dos des hommes tout ce qu’on y pouvait mettre. Un fantassin portait d’abord son sac à vêtemens, allégé, il est vrai, de tous ceux dont on présumait qu’il pourrait se passer pendant l’expédition, son sac de campement ou tente, et sa couverture de laine, ses rations de vivres pour cinq jours, pain, riz, café, etc., soixante cartouches, les bidons, marmites et autres ustensiles pour la cuisine ou la provision d’eau, quelquefois même le bois nécessaire pour faire la soupe, enfin son fusil d’une main, et de l’autre les longs bâtons qui servent à dresser