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le versant méridional de l’Atlas projette dans la vallée du Chelif, il était profondément sillonné par les ravins qui servent de lit aux torrens que la montagne envoie dans la vallée. Ce sont des montées et des descentes perpétuelles sur des pentes presque à pic, à travers des rocs qui affleurent ou des terres falaises rendues très glissantes lorsqu’elles ont été détrempées par le passage d’un certain nombre d’hommes ou d’animaux dans le lit du ruisseau. Ces circonstances ont au moins pour effet de rendre la marche extrêmement pénible et difficile, surtout pendant la nuit. Le maréchal était sur des charbons ardens

Bientôt nous vîmes arriver la dhiffa, c’est-à-dire le kouskous, les gâteaux au miel, toutes les friandises arabes, et une procession de moutons embrochés tout entiers sur de longs pieux qu’une file d’hommes portaient à peu près dans l’attitude du soldat qui a l’arme au bras. Ces moutons avaient l’air de sortir d’un abattoir incendié. Le maréchal mangea peu, et plus la nuit s’avançait, plus son inquiétude et son agitation augmentaient. Enfin on vint lui annoncer l’approche de l’escorte. Peu après, les deux capitaines se présentèrent eux-mêmes. Il les invita à se mettre à table ainsi que les autres officiers des deux compagnies. Il leur renouvela toutes les questions qu’il leur avait faites aux premières rencontres; puis il sortit, et nous le suivîmes, pour aller donner un coup d’œil au bivouac de nos fantassins. Le camp était déjà dessiné et installé, les tentes dressées. Les hommes chantaient ou se nettoyaient, et se livraient à d’autres petits soins de ménage et de toilette.

Ces tentes, inventées en Afrique, n’ont pas trois pieds de haut le long-de l’arête qui en marque le sommet. Elles se composent tout uniment du sac de campement qu’on donnait originairement aux hommes pour s’envelopper pendant la nuit. Ce sac, qui ne couvrait que les parties inférieures jusqu’aux épaules, permettait à l’homme d’absorber par la tête et par les voies respiratoires toutes les influences malignes du serein, de la rosée et des autres émanations terrestres. Or ces émanations nocturnes ont été reconnues comme le véhicule le plus énergique de l’infection qui a fait tant de victimes. Un employé de l’administration militaire imagina d’ouvrir ce sac en deux, d’y coudre quelques anneaux ou quelques cordons, et, au moyen d’un long bâton couché sur deux autres plus courts et qui servent de montans, il construisit une tente, ou plutôt une espèce de toit en toile. Dans la pratique, plusieurs hommes s’unissent ensemble pour avoir une tente plus grande et mieux fermée. Les sacs qui ne servent pas à former la tente proprement dite servent de courtines pour en clore les deux extrémités. Quatre hommes couchés en travers reposent ainsi sous un abri aussi parfait que puisse l’avoir un soldat en campagne. Le maréchal ne tarissait pas sur le bienfait de cette invention. Il regrettait de n’en pouvoir nommer l’auteur, dont le nom lui avait échappé; «mais je le ferai rechercher, disait-il : c’est un homme que je dois faire récompenser. » Je ne sais s’il aura eu le loisir de tenir cet engagement qu’il prenait avec lui-même.

Cette invention, des plus simples, est en effet des plus méritoires en ce sens que, remplissant les conditions de la tente, elle n’en a pas les inconvéniens. Cette tente nouvelle est légère et portative. Elle n’augmente pas ce train de bagages, ces impedimenta, comme disait le maréchal après les anciens.