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loin, Médéa étant située sur un plateau fort élevé. Cette ville, dépeuplée et à demi détruite par Abd-el-Kader, a été à peu près achevée par les Français, qui l’ont reconstruite presque en entier.

Nos courses faites, nous rentrâmes pour le déjeuner. Nous étions au moment de quitter la table, lorsqu’un officier vint demander au maréchal ses ordres au sujet des deux compagnies d’escorte.

— Comment! s’écria le maréchal tout étonné; elles ne sont donc pas encore parties ?

— Non, monsieur le maréchal.

— Mais c’est impossible! A quoi songe-t-on ? Qu’on les fasse partir tout de suite.

— Monsieur le maréchal, les hommes n’ont pas mangé la soupe, et ils sont en train de la faire.

— En vérité, c’est inexcusable! Quelle heure est-il ?

— Il va être dix heures, monsieur le maréchal.

— Dix heures! Ils devraient être maintenant à la halte! Est-ce raisonnable ? Allons! qu’on se hâte de leur faire manger la soupe, et qu’ils partent aussitôt après !

Nous montâmes nous-mêmes immédiatement à cheval. Le maréchal ne parlait que de ses soldats, de leur journée de quinze lieues et de la marche forcée qu’ils auraient à faire pour rattraper le temps perdu. Nous n’avions pas marché une heure, qu’à chaque instant il se retournait pour les chercher dans l’espace que nous avions laissé derrière nous; mais rien ne paraissait. La structure montagneuse du pays nous dérobait parfois tout le chemin que nous avions suivi; parfois aussi un point culminant nous le rendait en panorama jusqu’à Médéa, qui déjà n’était plus qu’une petite masse blanche. Sur tous ces points, le maréchal arrêtait la marche et regardait. Nous faisions comme lui, et tous les yeux interrogeaient le vaste contour que nous avions parcouru. Enfin, vers une heure, à un détour du Gontaz, quoiqu’un crut apercevoir dans le lointain une petite masse semée de points brillant au soleil : « Les voilà ! » On se retourne, on regarde, on se montre mutuellement du doigt le point indiqué, on s’assure que c’est bien en effet de la troupe en marche, ou distingue même la teinte rouge des pantalons.

— Enfin! dit le maréchal. Pauvres gens!

Et nous reprenons nous-mêmes notre marche jusqu’à une source où l’on mit un instant pied à terre pour donner aux chevaux le temps de souffler.

Deux heures après, nos fantassins nous avaient rattrapés et passaient devant nous, gais, alertes, et comme tout triomphans de nous laisser en arrière. Ils avaient déjà fait quelque chose comme sept lieues tout d’une traite, et certes il n’y paraissait pas. Les deux capitaines s’approchèrent du maréchal.

— Eh bien! comment vont vos hommes ?

— Très bien, monsieur le maréchal.

— Ils ne sont pas trop fatigués ?

— Pas le moins du monde, monsieur le maréchal.

— Pauvres gens ! Il vous reste encore bien du chemin à faire. Vous allez bientôt leur faire manger la soupe ?

— Pas encore, monsieur le maréchal ; il n’est que trois heures.

— Il ne leur manque rien ?