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captivité. Quant à l’Angleterre, comment pourrait-elle venir au secours des Tcherkesses ? C’est de la Russie qu’elle reçoit son pain de tous les jours. En un mot, il n’y a que deux puissances : Dieu dans le ciel et le tsar sur la terre, et(si la voûte des cieux s’écroulait, la Russie serait assez forte pour la soutenir sur ses millions de baïonnettes. » Les Tcherkesses, dit M. Wagner, s’amusaient beaucoup de ces prétentieuses niaiseries, et les attaques nocturnes se renouvelaient sur plus d’un point. En 1840, quatre forteresses de la ligne tombèrent au pouvoir des Tcherkesses, qui se contentèrent de les piller. En 1843, après la victoire de Shamyl à Dargo, il y eut encore quelques prises d’armes; mais deux ou trois succès énergiquement remportés par les Russes réduisirent bientôt leurs adversaires à ce rôle d’hostilité passive que nous avons décrit.

La défaite du général Grabbe à Dargo ne fut pas seulement l’occasion de sa disgrâce, elle amena aussi la destitution du gouverneur général; le système d’occupation défensive prévalait à Saint-Pétersbourg. Le général Golowin fut remplacé par le général Neidhardt, officier allemand plus distingué par son habileté administrative que par ses talens militaires, et le commandement actif, enlevé au général Grabbe, fut donné au général Gurko. On devait, d’après les instructions du ministre de la guerre, se fortifier sur tous les points occupés, et renoncer pour longtemps aux expéditions aventureuses : quelques années de paix étaient nécessaires pour relever le moral de l’armée. L’audace de Shamyl en décida autrement. La fin de l’année 1843 est une des plus sanglantes périodes de l’histoire du Caucase. Le prophète envahit au mois de septembre le pays des Awares, dont les chefs, nous l’avons vu, sont les alliés du tsar. Il assiège la garnison russe, détourne l’eau qui l’alimentait, et la force de se rendre jusqu’au dernier homme. lin bataillon envoyé au secours est massacré tout entier. Alors le général Kluke de Klugenau s’élance au-devant de Shamyl dans l’Awarie avec des forces considérables. Shamyl le bat, le poursuit, l’oblige de se jeter dans la forteresse de Chunsak, et semble près d’emporter la place, quand le général Dolgoroucki, arrivant avec des troupes supérieures en nombre, délivre la garnison après plusieurs combats où la victoire, longtemps indécise, est chèrement achetée. Shamyl retourne sur ses pas; il ravage l’Awarie, emmène tous les habitans de gré ou de force, se réservant de convertir par ses prédications guerrières ceux qui étaient encore attachés à la Russie, et quelques semaines après, revenant à la tête d’une armée composée de Tchétchens, d’Awares, de Lesghes, de Kumikes, populations sans liens de race ou de langage, mais exaltées par un même fanatisme, il va mettre le siège devant la forteresse de Wnézapnaia ou Vnézapné. Les généraux Kluke et Dolgoroucki, qui