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nation. Si les Tcherkesses pouvaient recommencer la lutte en même temps que les Tchétchens, quel coup terrible porté à la puissance russe ! Shamyl visita les Ubiches et les Adighés; il fut reçu par eux avec honneur, mais il obtint de médiocres résultats. La haine de la Russie a beau être un lien puissant entre les populations des deux parties du Caucase, il y a des rivalités séculaires qui les séparent. La différence des idiomes est aussi un obstacle à cette communauté d’efforts que voulait provoquer l’ardent chef des Tchétchens. Shamyl, obligé de prêcher la guerre sainte en turc, fut compris seulement des chefs et des mollahs. Il revint de la Circassie, n’emportant que de vagues promesses et l’assurance d’une aversion irréconciliable pour la Russie. Il avait choisi pour résidence la forteresse Dargo, une place moins forte qu’Akulcho, mais située aussi dans une position presque imprenable. Le général Grabbe voulut l’y poursuivre encore. Les troupes expéditionnaires partirent de Girselaul au mois de mai 1842. Shamyl donna l’ordre aux Tchétchens de ne pas tirer un coup de fusil pendant que la colonne serait en marche; on la laissa s’engager dans les sombres forêts et les défilés tortueux qui avoisinent Dargo, puis elle fut cernée de toutes parts et à moitié anéantie. Ce désastre des Russes à Dargo est un des plus terribles échecs qu’ils aient subis dans le Caucase. On attendait à Girselaul le retour de la colonne, et déjà l’on avait fait maints préparatifs pour fêter les vainqueurs; ce fut un lamentable spectacle quand on vit arriver ces troupes où tant de rangs étaient vides. Le prince Tchernicheff, ministre de la guerre, en mission alors dans le Caucase, était précisément à Girselaul; il put voir ce lugubre tableau, il put entendre les cris des femmes et des enfans, les plaintes des officiers, les murmures des soldats. Des entreprises comme celle-là veulent être justifiées par le succès : quelques semaines après, le général Grabbe perdait son commandement.

Pendant que Shamyl grandissait ainsi dans le Daghestan, les Tcherkesses de la Mer-Noire, excités par le bruit lointain de ses triomphes, tentaient aussi quelques attaques contre les Russes. Déjà, avant le voyage de Shamyl en Circassie, vers 1836, quelques soulèvemens avaient eu lieu. Les Tcherkesses, qui n’avaient plus affaire au brillant et intrépide général Sass, le Lamoricière du Caucase, rompirent plus d’une fois la ligne de défense confiée à la garde des Cosaques. Le général Sass, enlevé subitement à ses fonctions comme Yermoloff, avait eu pour successeur le général Wiljaminoff, qui prétendait effrayer les Tcherkesses par des proclamations retentissantes et des gasconnades en style poétique. M. Wagner en cite une des plus curieuses, datée de 1837. « La Russie, écrivait le général, a conquis la France. Elle a mis à mort les fils de ce pays et emmené ses filles en