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il n’en aurait qu’une selon M. Wagner. Tous ces détails ont été donnés par des prisonniers revenus du Daghestan. La résidence de Shamyl a été longtemps la petite forteresse d’Akulcho; je dirai tout à l’heure à la suite de quelles luttes sanglantes il a été obligé de chercher un autre asile. Il s’y était fait construire par des prisonniers russes une maison européenne à deux étages. C’est là qu’il régnait dans les premières années, pauvre, sans trésor, n’ayant rien pour solder ses troupes, nourri souvent par elles, mais aussi puissant par l’enthousiasme religieux que s’il eût possédé des millions. Les murides qui l’entourent sont prêts à se faire tuer sur un signe de sa main. Jamais chef dans le Daghestan n’a exercé une autorité comparable à la sienne. Scheick-Mansour lui-même, qui avait soulevé tout le Caucase, Scheick-Mansour, le héros fort, le grand semeur du champ de la foi, n’était qu’un guerrier illustre et respecté. Shamyl est tout à la fois le sultan et le prophète des Tchétchens. « Mahomet est le premier prophète d’Allah! Shamyl est le second prophète! » Tel est depuis 1834 le cri de guerre du Daghestan.

Le plus redoutable adversaire qu’ait rencontré Shamyl est le général Grabbe. Le général Golowin, qui avait succédé au baron de Rosen dans le commandement du Caucase, était fort opposé au système de guerre offensive; le général Grabbe au contraire, chargé des opérations militaires du Daghestan, brûlait d’aller chercher dans ses forteresses cet ennemi dont il voyait grandir l’influence et l’audace. Il écrivait sans cesse à Saint-Pétersbourg que son chef, résidant à Tiflis, ne pouvait connaître exactement les nécessités de la situation, et il demandait comme une grâce qu’il lui fût permis de faire une expédition dans les montagnes. Il voulait surtout attaquer cette forteresse d’Akulcho, où Shamyl avait établi le siège de son pouvoir. La forteresse prise, les Tchétchens, dispersés ou découragés, ne tarderaient pas à se soumettre. Il espérait d’ailleurs que ce terrible Shamyl tomberait mort ou vif entre ses mains, comme Khasi-Mollah sept ans plus tôt sur les remparts d’Himry. La permission fut accordée; c’était au printemps de 1830. La colonne du général Grabbe se mit aussitôt en route. Akulcho était à soixante werstes (environ quinze lieues) des postes les plus avancés. Après quelques jours d’une marche pénible dans les gorges, on arriva au pied du rocher où s’élevait la demeure de Shamyl. Pas un coup de fusil n’avait été tiré pendant la route; les Tchétchens réunis à Akulcho attendaient l’ennemi de pied ferme. Les Russes avaient cru que les canons et les obus auraient facilement raison des assiégés. La forteresse en effet fut bientôt démantelée; mais les Tchétchens n’avaient presque pas souffert. A l’abri dans les souterrains et les caves, ils en sortaient pour tirer à coup sûr. Malheur au soldat qui se montrait derrière les