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d’Himry, Shamyl était le premier des murides auprès du nouvel iman Hamsad-Beg. Le règne de celui-ci ne fut pas long. Occupé à relever les forces des Tchétchens, Hamsad-Beg travaillait à dominer par l’ascendant religieux les autres populations du Daghesthan afin de les lier à sa cause, lorsque des rivalités intérieures, suscitées par la diplomatie russe, amenèrent tragiquement sa mort : il fut assassiné dans une mosquée en 1834. C’est à la mort d’Hamsad-Beg que commence la dernière, la plus dramatique période des guerres du Daghestan, celle qui dure encore, et qui, dans la prévision d’une rupture de la paix générale, excite aujourd’hui plus que jamais l’intérêt et la curiosité de l’Europe. Shamyl était un des plus fervens soutiens de la nouvelle secte religieuse; disciple chéri du maître, il était tombé dans ses bras sur la brèche sanglante d’Himry; nul mieux que lui ne pouvait recueillir l’héritage d’Hamsad-Beg et relever le drapeau de Khasi-Mollah.

Shamyl avait trente-sept ans quand il devint le chef des Tchétchens. Il est né en 1797, dans ce petit village d’Himry où il avait failli trouver la mort auprès de son maître. Il s’était signalé dans sa jeunesse par une gravité précoce, une fierté ardente et une indomptable volonté. Il voulait être le premier en toutes choses; faible de corps, il s’exerçait à endurer les plus cruelles fatigues, et quand un de ses camarades l’emportait sur lui dans les jeux et les combats de la jeunesse, il s’enfermait pendant plusieurs jours comme un vaincu qui pleure sa honte. Son esprit grandissait aussi ardemment que son corps. Il avait un précepteur nommé Dschelal-Eddin, qui joue un rôle important dans son histoire. Dschelal-Eddin, le seul homme auquel il se soit jamais soumis, lui fit lire avec soin le Koran et les philosophes arabes. Affilié à l’école des sufis, il développait chez son élève l’enthousiasme religieux, et le préparait aux grandes choses. Cette forte éducation a porté ses fruits; le jour où Shamyl a succédé à Hamsad-Beg, toutes les rivalités ont cessé, tous les fronts se sont inclinés devant le front du maître. Shamyl est bien le digne chef de la secte ardente qui l’a proclamé prophète; il est persuadé que ses actes et ses paroles sont le produit immédiat d’une inspiration d’en haut. De là cette exaltation, non pas fébrile, mais majestueuse et calme, qui lui donne un impérieux ascendant sur ses peuples. Il a des éclairs dans les yeux et des fleurs sur les lèvres, dit un des poètes du Daghestan. Il est de taille moyenne; ses cheveux sont blonds; ses yeux, couverts de sourcils noirs et épais, sont pleins de feu; sa barbe a blanchi de bonne heure, mais tout dans sa personne annonce une juvénile énergie. Malgré l’activité ardente qu’il déploie, il est d’une sobriété de cénobite. Il mange peu, ne boit que de l’eau, et dort à peine quelques heures. M. Bodenstedt affirme qu’il a trois femmes;