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croyans devaient être toujours prêts à lui sacrifier leur vie. Ces croyans, c’étaient surtout les murides ou murschides, prêtres guerriers, intrépides lévites, gardiens suprêmes des révélations de l’extase. On comprend quelle dut être l’action de ce renouvellement de l’islamisme sur des peuples qui nourrissaient des haines séculaires contre les Moscovites, et qui n’attendaient qu’un signal pour se lever. Ce fut d’abord un enthousiasme tout religieux; le petit village de Jarach, résidence de Mollah-Mohammed, était visité par des milliers de pèlerins qui venaient s’initier à la doctrine de Hadis-Ismaïl; puis, quand l’heure propice eut sonné, la guerre sainte éclata. Dès le commencement, en mai 1830, la forteresse de Tarki faillit tomber au pouvoir de Khasi-Mollah; c’est à grand’peine et au prix de pertes cruelles qu’elle fut délivrée par le général Kabanoff. Les Tchétchens furent plus heureux à Kilsjar; ils se rendirent maîtres des faubourgs le 1er novembre 1831 et emportèrent un butin considérable. La Russie comprit qu’elle avait affaire à des ennemis qui venaient de doubler leurs forces. Dès que les affaires de Pologne furent terminées, on se hâta de renforcer l’armée du Daghestan; alors le baron de Rosen prit l’offensive, et porta le fer et la flamme dans ces petits villages des montagnes qui sont comme des nids d’aigles. Il y eut là de terribles engagemens. A Durwek, à Tschumkessen, à Hermantschuk, à Himry, villages tchétchens situés sur des rochers, on se battait de part et d’autre avec un acharnement furieux. A Hermantschuk, lorsque l’infanterie russe eut emporté le village à la baïonnette, un des principaux murides, Muley-Abdurrahman, se jeta avec quelques hommes dans une maison fortifiée, et là, chantant les versets du Koran au milieu des balles et des bombes, ils combattirent en désespérés; on n’en vint à bout qu’en brûlant la maison. Au moment où les murailles s’abîmaient sur lui et les siens, Muley-Abdurrahman chantait encore. A Himry, en octobre 1832, Khasi-Mollah mourut sur la brèche, de la mort des héros et des prophètes. Couvert de blessures, inondé de sang, tout prêt à rendre son âme vaillante au dieu des armées, il s’était jeté à genoux, et, invoquant Allah, il excitait de la voix ceux que ne pouvait plus enflammer son héroïque exemple. Ce combat d’Himry fut effroyable; les Tchétchens étaient cernés de toutes parts; les murides de Khasi-Mollah se firent tuer jusqu’au dernier.

Parmi les hommes qui étaient tombés à côté de Khasi-Mollah, il y avait un jeune muride nommé Shamyl. Frappé de deux balles et percé d’un coup de baïonnette, il gisait, privé de connaissance, au milieu des cadavres de ses compagnons : on le crut mort; comment s’est-il relevé ? Par quel miracle de ruse et de hardiesse a-t-il échappé aux vainqueurs ? nul ne le sait; mais quelques mois après la catastrophe