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constitution féodale, ses princes, ses nobles, ses paysans, et s’inquiète assez peu de ce que fait la tribu voisine. M. Kupffer, président d’une commission scientifique qui accompagna le général Émanuel lors de l’expédition de 1829, écrit dans son rapport ces expressives paroles : « La terreur nous saisit à la pensée du péril qui menacerait la Russie méridionale, si les Tcherkesses étaient jamais réunis sous le commandement d’un seul maître. » Le jour où cette république féodale abandonnerait ses vieilles franchises à un dictateur fanatique comme Scheick-Mansour ou comme Shamyl, le jour où toute la ligne du Caucase serait en feu, où le cri de guerre du Daghestan serait répété par l’écho de Circassie, où les Tcherkesses d’un côté, et les Tchétchens de l’autre, presseraient l’armée russe dans le défilé du Dariel, — cette guerre déjà si sérieuse, quoique circonscrite aujourd’hui, prendrait des proportions bien autrement redoutables.

Il n’y a point d’hostilités, en ce moment, entre ces peuples et la Russie, mais le Tcherkesse est l’implacable ennemi du Cosaque, et si l’année de la Mer-Noire tient les montagnards en respect, c’est à la condition de veiller nuit et jour. Sans cesse des villes et des forteresses on voit sortir des bandes de cavaliers qui vont balayer les routes. Ce ne sont pas seulement les gorges et les défilés qu’il faut explorer d’un œil perçant; il n’y a pas un buisson, pas une touffe d’herbe, pas un pli de terrain qui ne puisse cacher un Tcherkesse, accroupi ou ventre à terre, le fusil en joue, le doigt sur la détente, tout prêt à envoyer au loin une balle qui ne manquera pas son but et sûr d’une retraite voisine où on le cherchera en vain. Malgré cette fausse paix qui ne permet pas une heure de trêve, les Tcherkesses sont admis dans les villes et sur les marchés de la Russie. Le prince Woronzoff n’a pas sur ce point les idées des généraux qui l’ont précédé dans le Caucase. Le général Sass, par exemple, dont les razzias ont laissé de si terribles souvenirs, ne connaissait d’autre procédé que l’extermination. On s’efforce aujourd’hui d’attirer le peuple des montagnes aux travaux de la paix, on voudrait les accoutumer aux transactions, faciliter l’échange de leurs produits, leur procurer enfin des avantages qui ouvriraient leurs cœurs à des sentimens d’amitié. Ce généreux système a soulevé parmi les officiers russes les objections les plus graves. La plupart de ces Circassiens qui fréquentent les marchés de Jekaderinodar, de Georgiesk, de Stawropol, de Wladikawkas, on assure que ce sont des espions. Depuis qu’on leur a donné un libre accès au milieu des Cosaques, ils savent de la façon la plus précise tout ce qu’ils ont besoin de savoir : la force de tel ou tel point, l’importance de la garnison, le côté vulnérable de la place, le chemin, la brèche, l’heure propice, rien ne leur échappe, et quand une invasion subite a lieu, elle frappe à coup sûr. Quoi qu’il