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châtimens, et nous mettrons la clémence à l’ordre du jour. » Mais à bon entendeur ce mot ne promet pas, il menace; aussi ne rassura-t-il personne. Quant à Robespierre lui-même, pas un acte, pas une parole qui ait laissé percer, même au dernier moment, un symptôme quelconque de projets pacificateurs. Que se passait-il dans sa froide cervelle? Personne ne le peut dire. Ce que nous savons, c’est que les jacobins étaient sa force, que c’est par eux qu’il dominait la convention et par la convention la France. S’il leur parlait en maître, s’il les tançait quelquefois, au fond il leur obéissait toujours; il ne pouvait s’en séparer. Les jacobins savaient très bien, tous par instinct, quelques-uns par réflexion, qu’ils ne survivraient pas à la terreur. Ce n’étaient pas seulement leurs haines politiques qui les condamnaient à verser du sang, c’était la conscience de leurs propres méfaits. Ils se sentaient incompatibles avec toute société gouvernée par des lois. Le retour de la justice était pour eux l’heure du châtiment; ils n’avaient de salut que dans le désespoir. Et l’on voudrait que Robespierre eût rêvé la douceur et la modération, au risque de rompre avec eux, de perdre son armée, de se livrer sans défense à l’ennemi, de provoquer une réaction impossible à contenir! Non, comme les jacobins, il fallait qu’il marchât toujours dans sa route sanglante; il ne pouvait s’arrêter qu’à l’abîme. Ni l’idée ni le pouvoir de mettre fin à la terreur ne devaient appartenir à ceux qui l’avaient créée. La guillotine était une machine indomptable que ne pouvaient plus arrêter ceux qui l’avaient mise en mouvement.

A défaut de ces nécessités de situation, Robespierre, par son seul caractère, eût été inaccessible aux idées qu’on lui prête. Jamais il ne se fût résigné à la clémence, parce que jamais l’extermination des aristocraties de naissance, de richesse, et surtout de talent et de réputation, n’eût été complète et suffisante à son gré. La haine était le fond de son âme et de sa politique. M. de Barante, qui le connaît et qui le peint jusque dans ses moindres replis avec une sagacité pénétrante, le montre médiocre en tout, supérieur seulement dans la haine. Personne n’a poussé plus loin l’art de perdre ses ennemis. L’envie le rendait habile, presque éloquent; parfois aussi elle tournait en fureur et le faisait sortir de son impassibilité. Deux choses lui étaient également impossibles, supporter un rival et la contradiction.

Cette horreur de la contradiction hâta l’heure de sa chute. Ses collègues des comités étaient à genoux devant lui; il les trouvait irrespectueux et indociles. Discuter avec eux était une souffrance. Peu à peu il s’éloigna, s’isola, devint comme étranger au comité et ne parut plus qu’aux Jacobins, où il trônait tout à son aise. C’était en jouant le même jeu, en quittant ainsi la partie, que Danton s’était perdu, et avant lui la gironde. Robespierre l’oubliait, ou plutôt il se