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renouvelés; les huit cents Cosaques, au contraire, sont presque tous mariés, ce qui ne les empêche pas d’être en selle au premier signal et de courir sus aux Tcherkesses. La ville est affreuse comme toutes les villes cosaques. La plupart des maisons, petites, étroites, sales, sont construites en terre; ce sont moins des maisons que des étables et des étables mal tenues, où bêtes et gens habitent ensemble au milieu d’un fumier qui infecte la ville. Heureusement les rues sont larges, et il y a çà et là de jolis jardins plantés d’acacias pour récréer la vue. On trouve aussi des maisons de bois, entre autres celle de l’hetman, qui attestent un certain goût d’architecture. Ce n’est plus tout à fait le genre des villes barbares dont parle Montesquieu, de ces villes de Crimée « faites pour renfermer le butin, les bestiaux et les fruits de la campagne. » Tout empreintes qu’elles sont d’une physionomie sauvage, les villes cosaques du Caucase portent déjà la trace des nouvelles mœurs. M. Wagner assure qu’il a trouvé la civilisation parisienne à Jekaderinodar : on y joue au whist, on boit du vin de Champagne sorti des caves de Reims, et les jeunes filles dansent nos quadrilles et nos valses avec une grâce française.

Les Cosaques tchernomorzes, que M. Wagner a visités le long des rives du Kouban, sont établis là depuis soixante-dix années. Ce sont les fils de ces Zaporogues qu’un ukase de Catherine II transporta vers la Mer-Noire en 1783. Au moment de l’émigration, ils étaient environ soixante mille; depuis lors, la peste de 1796, l’insalubrité du climat et les balles des Tcherkesses ont terriblement réduit ce nombre. Il s’en faut bien aujourd’hui que l’importance de la population soit en rapport avec l’étendue de la contrée. Les Cosaques mettent sur pied dix régimens composés chacun de mille hommes. Après trois ans de service, le soldat accroche sa lance dans la cabane et reprend la faux et la charrue; d’autres le remplacent pendant le même nombre d’années, et quand son tour est revenu, il quitte de nouveau la charrue pour la lance. Bien supérieurs aux Cosaques du Don et de l’Ukraine, les Tchernomorzes sont loin de valoir ceux de leurs frères qu’on appelle spécialement les Cosaques de la ligne. Ceux-là sont les plus belliqueux et les plus intrépides de tous. Limitrophes des Cosaques du Kouban, ils habitent les steppes comprises entre le Kouban et le Térek, au pied de ces montagnes du Daghestan où est concentrée désormais toute la guerre du Caucase. Il semble que les Cosaques en général mêlent à la fierté naturelle du cavalier nomade je ne sais quelle disposition à la mollesse. C’est la paix qui a énervé les Cosaques de l’Ukraine et du Don. Les Cosaques du Kouban et de la ligne, bien des symptômes l’attestent, ne garderaient pas longtemps leurs fières allures, si la guerre ne les tenait en éveil. Barbares aisément muselés, on dirait qu’ils ont été donnés à la Russie comme un