Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mazamet ces misères profondes qui désolent d’autres cités industrielles.

À l’intérieur des établissemens, certaines coutumes d’un caractère patriarcal tendent à rattacher les familles à ceux qui les emploient. J’ai vu les femmes employées au triage des laines et au bobinage apporter librement dans l’atelier leurs enfans qu’elles allaitent et qu’elles soignent sans être obligées de se déranger. Comme les nourrices sont placées dans des pièces à part qui ressemblent à des crèches d’un genre spécial, la tolérance accordée ne gêne personne, Ces femmes gagnent à peu près un sou de moins par jour que les autres ouvrières à cause des distractions et des inévitables pertes de temps que leur état entraîne. Tantôt les enfans sont tenus sur les genoux de leur mère, tantôt ils dorment sur un oreiller dans des paniers qui font l’office de berceaux ; d’autres, un peu plus âgés, courent dans l’atelier ou se roulent sur les déchets de laine. On exige d’ailleurs que ces jeunes enfans soient proprement tenus. À mesure qu’ils grandissent, on les admet à prêter leur concours aux ouvriers adultes, et alors on interdit sévèrement à leur égard ces violences qui, en aigrissant les caractères, développent les mauvais penchans.

Presque tous les enfans d’ouvriers fréquentent aujourd’hui les écoles, soit celles des frères de la doctrine chrétienne, soit les classes d’enseignement mutuel. Jusqu’à ces derniers temps, l’instruction avait été fort négligée. Parmi les travailleurs adultes, il n’y en a pas plus d’un sur cinq qui sache lire, plus d’un sur dix qui sache écrire. À défaut de culture intellectuelle, la population ne se distingue pas par ces vives facultés naturelles qui suppléent parfois jusqu’à un certain point aux connaissances acquises : elle est d’un tempérament assez lourd, à peu près comme en Alsace. Le développement de l’instruction varie un peu ici suivant les cultes. Sur 10,000 habitans, 4,000 à peu près appartiennent au culte réformé. Tous les chefs d’industrie, excepté un, sont protestans, tandis que la majorité des ouvriers est catholique. Il y a moins d’instruction parmi ces derniers que parmi les familles laborieuses de la religion protestante, et les causes de cette différence viennent de circonstances toutes locales. D’abord les classes des frères de la doctrine chrétienne, qui sont les seules écoles des catholiques, ne remontent qu’à une époque très rapprochée. De plus, les protestans forment le noyau primitif de la population de Mazamet, où aboutit une rangée de villages du culte réformé situés au pied de la Montagne-Noire, à partir de Saint-Amand-la-Bastide. Or ces premiers occupans du territoire, jouissant de plus d’aisance que les derniers venus, ont pu donner plus d’soins à l’instruction de leurs enfans. Des deux côtés, les habitudes religieuses exercent un assez grand empire. Sans être bien marqué, l’esprit de