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de l’autre côté de la montagne de l’Escandolgue, on s’y nourrit généralement mieux. Un peu plus d’aisance chez les familles ouvrières amène un peu plus de prévoyance dans les habitudes domestiques. Trop souvent, hélas ! la disposition à l’économie se voit contrariée par le goût des ouvriers pour les cabarets et les cafés où ils s’entassent le dimanche. C’est à peu près là l’unique distraction à laquelle ils soient sensibles. Il faut mentionner cependant un plaisir d’un genre spécial qu’un certain nombre d’entre eux affectionnent passionnément : nous voulons parler du braconnage. Courir les montagnes avec un fusil sur l’épaule, chercher le gibier en fuyant les gendarmes, c’était pour eux un passe-temps favori avant que les circonstances politiques eussent entraîné un désarmement général. Nulle part les dernières dispositions légales relatives à la chasse n’avaient été regardées d’un œil plus haineux, nulle part elles n’avaient laissé dans les cœurs de plus profondes rancunes contre les agens chargés de les faire respecter. En dehors de ces courses hebdomadaires, aujourd’hui forcément interrompues, la vie habituelle, dans les jours de repos, présente une complète monotonie. La masse de la population ne laisse percer du reste dans ses divertissemens ni vices ni qualités dignes de remarque. Tout en fréquentant les cabarets, on ne s’enivre presque jamais ; on dédaigne ces plaisirs en commun qui cimentent l’union des familles, mais on ne donne pas l’exemple de ces débauches, ailleurs trop fréquentes, qui dénotent une profonde altération du sens moral.

Les pratiques extérieures de la religion sont assez fidèlement observées à Bédarieux ; il serait facile de compter les ouvriers qui s’abstiennent d’aller à la messe le dimanche. Un peu ébranlées en 1848, les habitudes anciennes ont bientôt repris leur empire. Cependant aucune assimilation n’est possible entre la population de Lodève et celle de Bédarieux. Ici, les cérémonies du culte, les traditions et les légendes religieuses occupent moins de place dans la vie et remplissent beaucoup moins les esprits ; les âmes ne sont pas également imprégnées de ce mysticisme singulier qui, sous des dehors tout matériels, les livre sans cesse aux préoccupations de l’infini. À Bédarieux, on ne connaît pas les confréries de pénitens, du moins parmi les hommes. La ville renfermant une minorité protestante qu’on peut évaluer au huitième de la population, le culte réformé, dont l’idée seule bouleverserait les ouvriers de Lodève, y est régulièrement établi, et n’y suscite ni animosités ni divisions dans les relations privées. Les deux églises n’aspirent point à exercer de propagande l’une vis-à-vis de l’autre. S’il existe quelque différence relativement à l’instruction entre Lodève et Bédarieux, l’avantage appartient à cette dernière ville ; on y trouve en effet un peu plus d’ouvriers sachant lire et écrire. Il est à regretter que les frères de