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succès dans la carrière des affaires, — l’audace sans témérité, la ténacité sans entêtement, le désir infatigable de s’avancer dans la voie où l’on est entré, — tous ces instincts qui caractérisent à un si haut degré l’industrie anglaise se révélèrent dès le début au sein de la petite cité du Tarn. Une vive émulation, qui ne s’est jamais démentie, s’étendit des chefs d’établissemens aux ouvriers même. Chacun, en effet, se montre ici incessamment tourmenté de la crainte d’être dépassé par son voisin ; chacun s’applique sans relâche à rehausser par de nouvelles conquêtes les améliorations déjà accomplies. En outre, les fabricans ne pensent point à quitter les affaires aussitôt qu’ils ont amassé une certaine fortune ; ils restent sur la brèche jusqu’à la fin de leur carrière. Les professions libérales, qui honorent l’esprit, mais qui sont trop souvent environnées d’illusions funestes, n’exercent ici aucune séduction. Les chefs de maisons élèvent leurs fils pour la fabrique ; l’esprit des affaires qu’ils tâchent de leur inculquer de bonne heure, ils le considèrent comme la meilleure partie de leur héritage. L’industrie est donc à Mazamet l’unique carrière ouverte à l’ambition et au talent.

Mazamet a encore eu ce bonheur d’avoir, pour l’initier aux larges procédés industriels de ce siècle, un fabricant distingué par sa vive intelligence, M. Houlès, dont le souvenir est également en honneur, auprès des ouvriers et auprès des chefs d’établissement. C’est lui qui, en mettant sa ville natale en possession de nouveaux articles, a ouvert à son activité les voies les plus diverses et créé pour la population de nombreux genres de travail. Quelques centaines d’ouvriers sont occupés encore aujourd’hui à la fabrication des vieilles étoffes, premier noyau de cette manufacture, telles que les cadis, les sorias, etc., qui sont ou blancs ou teints en pièce. Un plus grand nombre s’attaquent aux flanelles, aux molletons, aux tissus appelés tartans, dans lesquels on tâche de calquer l’industrie rémoise[1] ; mais les tissus drapés et foulés sont le principal travail de la population. Dans aucune autre ville du midi, on n’a si largement appliqué l’art des tisserands de Lyon à la fabrication des lainages feutrés. Mazamet recherche d’ailleurs, comme Bédarieux, l’exploitation du genre le plus économique[2].

À mesure que s’étendait le domaine de la fabrique du Tarn, on perfectionnait aussi les instrumens de la production. On montait des filatures avec un matériel comparable à celui des belles usines de nos

  1. La teinturerie de Mazamet n’est point aussi perfectionnée que celle de l’antique cité de la Champagne ; tandis qu’on teint les lainages de Mazamet comme la draperie, les teinturiers de Reims teignent leurs étoffes à la façon des soieries.
  2. Mazamet n’employait jadis que les laines les plus communes du midi ; maintenant, avec sa fabrication si variée, elle consomme les laines d’à peu près tous les pays producteurs, sauf celles d’Allemagne et d’Australie, qui sont en général utilisées pour des tissus plus fins que les siens.