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conforma ponctuellement, selon l’usage des partis, qui copient à satiété les moyens qui leur ont une fois réussi. Il y avait lieu pourtant, en cette circonstance, à procéder plus simplement. Tant de précautions et de conciliabules n’étaient pas nécessaires : on complotait à coup sûr. Que pouvaient les girondins? Ils avaient contre eux la commune, le tribunal révolutionnaire, tous les agens de l’autorité publique; ils ne pouvaient donner un ordre sans être désobéis. Dans le lieu même de leurs séances, les tribunes publiques vociféraient contre eux sans qu’ils eussent le pouvoir de chasser les perturbateurs. Il est vrai qu’au scrutin ils avaient la majorité, c’est-à-dire quelques voix de plus que leurs adversaires, voix timides, incertaines, toujours prêtes à les abandonner. Mieux eût valu quelques soldats : ils n’en avaient pas un. Les seules troupes qu’il y eût alors dans Paris étaient quelques milliers de volontaires recrutés dans les cabarets pour la guerre de Vendée, et soldés par la commune, qui les avait mis sous les ordres du septembriseur Henriot. Ainsi ceux contre qui tant de gens conspiraient n’étaient pas difficiles à vaincre. Ils n’avaient que des phrases pour lutter contre des bras, des piques, des canons, et leurs plus grands ennemis, c’étaient encore eux-mêmes, c’étaient leurs indécisions, leurs faiblesses, leur incurable imprévoyance. S’ils avaient été d’autres hommes, ils auraient eu des défenseurs : une partie des sections se prononçaient peureux sans oser se mettre en mouvement. En payant de leur personne, ils les auraient entraînées, et alors quel désarroi dans les rangs de l’insurrection! La moindre démonstration de résistance eût dérangé tous les calculs. N’avait-on pas vu, dans la soirée du 26 mai, la société des jacobins éperdue, consternée à la seule nouvelle que la section de la Butte des Moulins venait de prendre les armes pour l’assemblée? L’idée qu’un modéré pût se battre faisait sur ces buveurs de sang l’effet d’un coup de foudre; la séance fut suspendue; il fallut que Robespierre les gourmandât et leur prouvât que la nouvelle était fausse, sans cela ils ne l’auraient point écouté. Avis éternel à ceux qui ont affaire à la démagogie : elle n’avance que quand on recule; dès qu’on marche en avant, elle fuit.

Danton, avec ce langage pittoresque et grossier dont il usait dans les couloirs et qui valait cent fois mieux que ses déclamations de tribune, dépeignait à merveille la situation des deux partis : «Je sais bien, disait-il, que nous sommes en minorité dans l’assemblée; nous n’avons pour nous qu’un tas de gueux qui ne sont patriotes que quand ils sont soûls. Nous sommes un tas d’ignorans : Marat n’est qu’un aboyeur, Legendre n’est bon qu’à dépecer sa viande, les autres ne savent que voter par assis et lever. Nous sommes bien inférieurs en talens aux girondins; mais si nous avions le dessous, ils nous feraient un crime des journées de septembre, de la mort de Capet et du 10 août, dont ils ont été d’accord. Il faut donc marcher sur eux : ce