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patrie de l’instrument de tyrannie le plus puissant qui ait jamais existé.

Puis, quelques jours après, à quoi dépensent-ils leurs efforts? Qu’obtiennent-ils de l’assemblée à force d’éloquence? L’accusation de cet abject Marat. Satisfaction puérile! Ils lui ménagent un triomphe. Ce tribunal où ils l’envoient, ce tribunal dont l’invention leur appartient, ils l’ont laissé peupler de leurs plus fougueux ennemis. Marat absous, applaudi, couronné de fleurs, transporté sur les bras d’un cortège déguenillé, revient insolemment s’asseoir sur ces bancs qu’ils avaient cru purger de sa présence, et s’apprête à commander contre eux un plus sérieux ostracisme.

Malgré cette série d’impardonnables fautes, ils avaient alors pour eux, ne l’oublions pas, les vœux, les sympathies, les secrets encouragemens des opprimés de tous les partis, c’est-à-dire de la France muette et tremblante, de la France, les jacobins exceptés. Plus les sans-culottes grandissaient en audace, en démence, en fureur, plus les girondins gagnaient en estime et en bonne renommée. La société dissoute et dispersée, sans courage et sans espoir, se tournait vers eux avec reconnaissance comme vers ses derniers défenseurs. «On oubliait, dit M. de Barante, le mal qu’ils avaient fait l’année précédente, l’encouragement qu’ils avaient donné à la faction qui les menaçait aujourd’hui, le 10 août qu’ils avaient suscité et dont ils réclamaient la complicité, leur coopération empressée ou docile à toutes les mesures révolutionnaires, la mort du roi lâchement votée, tout leur passé si récent : on voyait en eux des sauveurs. « Dans les départemens, dans les villes surtout, à Bordeaux, à Lyon, à Marseille, on leur tressait des couronnes, on chantait leurs louanges, on leur envoyait des adresses et des députations. Ce mouvement des esprits, où ne se mêlait encore aucune pensée de royalisme ni de contre-révolution, avait gagné l’assemblée elle-même : la majorité, jusque-là flottante, se décidait de plus en plus pour la gironde. Qu’on juge de la rage des jacobins! Ils étaient avertis par leur vaste correspondance que partout ils perdaient du terrain. A Paris même l’influence allait leur échapper. Si une fois les modérés devenaient les plus forts, s’ils faisaient la constitution, s’ils composaient un gouvernement, c’en était fait de la puissance jacobine. Il n’y avait donc pas à balancer, il fallait un coup de force, un coup d’état, un nouveau 10 août; il fallait traiter la convention comme on avait traité la monarchie. De là le 31 mai.

Cette journée était depuis six mois dans la pensée de Robespierre; dès que l’urgence en fut comprise par le parti tout entier, vers la fin d’avril environ, le travail insurrectionnel commença. Il faut suivre dans le récit de M. de Barante les longs apprêts, les savans préliminaires de cette émeute. Ce sont des détails instructifs. Les traditions du 20 juin et du 10 août étaient encore toutes fraîches, on s’y