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la liberté fleurisse si peu en Allemagne, là justement où la réforme est née ? Ce qui est plus vrai, c’est qu’il y a eu dans la vie de la race anglaise des miracles de contradiction, c’est que l’Angleterre s’est fait un protestantisme à son usage, d’un caractère national, qui est une foi religieuse sans doute, mais qui sert surtout ses intérêts, sa politique, ses desseins d’influence, son action particulière, et qui est devenu une des formes du patriotisme britannique. Considéré en lui-même, à un point de vue général, le principe protestant est autre chose. Sans tomber dans les exagérations de ceux qui prétendent découvrir une intime et mystérieuse solidarité entre le mouvement religieux du XIIIe siècle et les sectes socialistes contemporaines, ne peut-on dire qu’un des résultats évidens de la réforme à coup sûr, c’est d’avoir porté une profonde atteinte à l’homogénéité, à l’unité de la civilisation et d’en avoir changé le cours ? En inaugurant le règne du sens individuel dans le domaine religieux, elle a ouvert toutes les voies à un mouvement d’un autre genre où le protestantisme lui-même a disparu en quelque sorte, — mouvement plus vaste, philosophique, embrassant tous les pays, allant de la réforme de la religion à la réforme des gouvernemens, de la réforme des gouvernemens à la réforme des sociétés, et promenant sur toute chose un radicalisme destructeur ? De là sont nées ces deux civilisations dont Balmès trace le parallèle : — l’une se maintenant et se défendant par la force d’un principe profondément enraciné encore dans l’âme des peuples, l’autre roulant dans son cours toutes les traditions de révoltes, de négations et de destructions.

On ne saurait certes confondre le protestantisme avec cette civilisation révolutionnaire. Il a laissé le monde moins armé contre elle; mais il lui reste en commun avec le catholicisme ce que n’ont pas les philosophies socialistes modernes, — le fonds chrétien : c’est là le lien des deux croyances, et ce lien, à bien dire, existe encore. Cela est si vrai, qu’il peut se trouver des esprits éminens, protestans et catholiques, — Balmès et Carlyle, par exemple, si bizarre que puisse sembler ce rapprochement, — qui, à cette lumière commune, se rencontrent parfois dans la manière de juger certaines tendances de notre temps. Quelque différence qu’il y ait entre ces esprits, il est des instans où ils semblent parler un même langage empreint d’une religieuse pénétration. Balmès n’eût point crié plus haut que Carlyle dans ces dernières années : « De l’autorité! encore de l’autorité! » Il se soulevait avec non moins d’énergie, dans le Protestantisme, contre les religions sensualistes, les mysticismes révolutionnaires et les philanthropies écœurantes. Quand il aborde quelques-uns des problèmes les plus actuels, pas plus que l’écrivain anglais l’écrivain espagnol n’a foi aux