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l’Angleterre, les États-Unis montant à l’autre extrémité de l’horizon, l’éruption révolutionnaire prête à jaillir de nouveau de la France, son éternel foyer, et le vieux monde entraîné au hasard vers quelque écueil inconnu. Il y avait, selon lui, dans la civilisation quelque chose de faussé qui ne serait rectifié que par les épreuves les plus terribles, dont la situation réelle des choses recevrait un jour nouveau. C’est entre 1842 et 1846 que ces pressentimens étaient exprimés, et il y avait bien certainement quelque chose de remarquable dans de telles paroles jetées au milieu des prospérités, des sécurités, des illusions de ces années dont le 24 février a été le réveil. A quoi tenait cette étrange sagacité de vue ? C’est que dès le premier jour Balmès avait pris de haut le problème de la destinée morale des sociétés contemporaines.


II.

La politique chez Balmès émanait d’une source plus élevée que les intérêts ou les doctrines de parti; elle procédait d’une pensée investigatrice dans laquelle les événemens contemporains se coordonnaient à la marche générale de la civilisation. En un mot, au moment même où le prêtre de Vich étudiait et décrivait heure par heure toutes les fluctuations, toutes les crises de la politique, il portait dans son esprit un des livres les plus remarquables de ce temps par la force de quelques parties, par l’ingénieuse sagacité de certains jugemens, par l’ensemble de faits et d’idées qu’il remue : le Protestantisme comparé au Catholicisme dans ses rapports avec la civilisation européenne.

Lorsque Bossuet traçait l’Histoire des Variations, il plaçait le protestantisme à son origine en quelque sorte en face de la mobilité inhérente à son principe même. Le côté dogmatique dominait dans ce vigoureux acte d’accusation. Une œuvre qui traite aujourd’hui des grandes tendances religieuses du monde revêt par la nature des choses un autre caractère; elle doit trouver ses principaux élémens dans toutes les considérations historiques, sociales, morales, politiques. Qu’on remarque bien le moment où le Protestantisme paraissait au-delà des Pyrénées, à Barcelone : c’était en 1842. On sortait d’une révolution qui avait tout ébranlé, qui n’avait pas même épargné à la Péninsule la périlleuse perspective d’un schisme. Or, au sortir des révolutions, le premier besoin pour un peuple, c’est de ressaisir sa foi et ses croyances. Au milieu de la mobilité universelle, un instinct mystérieux le pousse vers ce qui est immuable. Cela était vrai pour l’Espagne, cela s’est trouvé peut-être bien plus vrai encore pour l’Europe après ses récentes