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aberrations. Quel était donc ce jeune prêtre qu’un pape consultait, dont l’oraison funèbre a retenti dans toutes les églises de la Péninsule, qui exprime à coup sûr une des plus remarquables phases de l’histoire de son pays, et dans les œuvres duquel se trouvent agités et débattus tous ces problèmes de la destinée morale des peuples, de la civilisation universelle, dont les révolutions récentes ont fait des problèmes de tous les jours ?


I.

C’est au cœur des montagnes de la Catalogne, dans la petite et vieille ville de Vich, que don Jaime Balmès était né le 28 août 1810. Son origine était toute populaire; son père était un artisan livré au plus obscur négoce. Il avait pour mère une de ces femmes simples et croyantes chez qui l’instinct maternel s’élève à une sorte de génie de divination. Thérèse Urpia, la mère de Balmès, avait le pressentiment de quelque chose de grand pour son fils; elle l’avait voué à saint Thomas d’Aquin. Quelques instans avant sa mort, en 1839, elle lui disait encore avec un naïf orgueil : « Mon fils, le monde parlera de toi ! » L’intérieur où Balmès avait grandi se trouvait être ainsi un intérieur sain, humble, religieux, mêlé de piété et de travail. Cette influence domestique, austère et simple, est faite pour former un esprit; l’influence de la contrée natale venait s’y joindre. La Catalogne a deux régions distinctes. Sur les côtes, la vie des affaires, le commerce, l’industrie, créent un mouvement à part; dans l’intérieur des montagnes, dont la base trempe dans la Méditerranée, et qui, en se déroulant, forment un vaste amphithéâtre, on retrouve la vie d’autrefois, les vieilles mœurs, les habitudes religieuses, les ascendans traditionnels. Il en était ainsi il y a trente ans. L’état ecclésiastique était encore à cette époque en Espagne une voie naturelle ouverte aux enfans du peuple pour s’élever, celle du moins où ils trouvaient le plus de ressources d’éducation gratuite. Balmès fut de bonne heure destiné à être prêtre. Son enfance tout entière se passa dans l’étude au séminaire conciliaire de Vich et à l’université de Cervera. C’était une organisation merveilleuse que cette organisation des vieilles universités espagnoles. On a bien souvent montré leur côté pittoresque, on n’en a pas toujours saisi la pensée puissante et protectrice, surtout à l’égard des enfans nés, comme Balmès, de familles indigentes.

L’enseignement n’était nullement le privilège des classes aisées en Espagne. Il semble au contraire que tout concourût à le rendre accessible au plus grand nombre, comme on dit aujourd’hui. Une multitude de fondations pieuses, d’immenses bénéfices, ouvraient aux enfans du peuple l’entrée gratuite des séminaires. A un degré plus